Hasta luego mi angel !
Une nouvelle de Christophe GRÉGOIRE
Depuis hier soir, je recherche un beau site pour mes enfants. Mais à force de tournoyer pour dégoter le must, le soleil a fini par décliner bien trop vite derrière la montagne. Il faut dire que l’arrivée inopinée de gros cumulus me fait prendre une décision plus urgente ; vite, se trouver un coin pour la nuit. Demain sera un autre jour et je ne suis pas à quelques heures près.
C’est P’tit Bbzz, un beau mâle que j’ai choisi pour ma lignée. Il s’est battu vaillamment pendant quelques heures pour conquérir le territoire de McFly, un autre qui se montrait trop vieux et surtout bien trop frêle pour attirer l’attention d’une jolie fille comme moi. Je précise que c’est moi qui fais ici office de « territoire ». Entre copines, on se disait que McFly avait dû manquer de ressources dans sa jeunesse, raison de son gabarit, pour ainsi dire ridicule. Personne ne l’avait vu (et surtout senti) mettre sa petite graine quelque part… en était-il au moins capable ? Bien que peu regardante sur la monture, les gênes ainsi reçus sont de première importance. C’est du moins mon avis.
Bref.
Il est temps de me trouver un petit nid pour la nuit.
Je suis d’abord attirée par des odeurs de sucre d’orange, puis de prunes et d’abricots. Après un rapide coup d’œil sur une table basse, je découvre ces fruits de saison sur une planche à découper en bois. Mais une épreuve m’attend : la préparation, bien que très attirante d’un point de vue purement olfactif, m’apporte des effluves que je ne connais que trop bien: l’alcool. Qui m’a déjà joué des tours. Du moins je le crois. Et qui se trouve là être sous forme de sangria. Dans mes souvenirs, me gaver de ces sucres et fruits ainsi fermentés me fait voir le monde sous un angle différent : 720 degrés tout au moins.
Si, si.
Trois personnes se trouvent autour de la table de salon de jardin, garnie comme je les aime : deux verres abondamment remplis, un autre, non alcoolisé, mais dont la substance me paraît bien trop chimique pour que je m’y attarde. Des restes de fruits, du saucisson, des fruits secs, du pain (du vrai) des tranches de jambon sec… Huummmm ! Ce n’était plus un apéro, c’est un festin !
À peine arrivée à bon port que déjà, je sens le rejet : le plus jeune essaie de m’écarter d’un revers de la main. Raté ! Le plus gros (mais aussi le plus âgé) fait de même. Encore raté. Je m’approche du visage de la femme. Une fois, deux fois. Puis une troisième fois quelques secondes plus tard. Pas plus douée. Vous ne m’aurez pas : À moi le festin !
Ah. Je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Lucie. Je suis une diptère. Musca domestica… une mouche si tu préfères.
Je n’ai jamais su s’il ne s’agit là que de pure jalousie, mais je dois bien avouer que je jouis d’une renommée que je ne sais pas trop expliquer : on dit de moi que je suis proche, trop proche des humains. Outre notre rapidité légendaire, notre dextérité qui ferait baver le plus rapide d’entre eux, il me semble bien les connaître, les humains. Assez bien, même. C’est d’ailleurs l’objet de nombreuses discussions et échanges avec les copines, comme tout à l’heure :
« – Toi, t’es différente !
– Mais d’où sais-tu tout ça ?
– T’es trop forte !
– T’es vraiment trop forte.
– Mais comment arrives-tu à les comprendre si bien ? »
Bien sûr, et en toute humilité, je leur réponds que « c’est normal », que « moi, je sais observer, je sais prendre le temps de les regarder ».
« – La dernière fois que j’en ai vue une « prendre le temps de les regarder », elle a fini plate comme une crêpe sous une grosse paluche !
– Elle avait peut-être négligé la toilette ! Il n’y a pas que les yeux et les pattes, on a souvent tendance à oublier les ailes et ça ralentit le décollage.
– Sans parler des changements de direction. Ce matin, Sabine, qui profitait tranquillement de l’humidité de la truffe d’un dogue de Majorque n’a pas eu le temps de pivoter son aile gauche. Un brusque mouvement de langue baveuse et hop ! Plus de Sabine ! Dans la gueule du chien !
– Sabine ? La pauvre, neuf jours à peine. Même pas eu le temps de pondre…
– T’as pensé à suivre le dogue ? On va peut-être retrouver Sabine dans une crotte !
– Ça fera à manger pour nos larves.»
Ainsi, la vie s’écoule. Au rythme des jours, des nuits et des conversations de haut vol.
Après m’être gavée de sucres (quelque peu alcoolisés), je file donc à la recherche des restes de Sabine. Pour l’avoir côtoyé quelques heures, il ne fait aucun doute qu’elle avait un bon patrimoine génétique. Et si je pouvais en faire profiter un peu les enfants… Je dois absolument accélérer la cadence : le ciel s’assombrit peu à peu et mon ventre plein va exploser, je le sens bien. Je fais une courte halte sur le toit d’une petite maison en bois. Une niche plus précisément. Sabine n’était pas du genre à s’aventurer très loin du territoire et là, habite une meute de chiens accompagnés d’un âne et de deux chevaux. Mais les chiens sont nombreux les bougres ! Un brin de toilette sur les yeux, les pattes et les ailes et mes sens s’accentuent enfin. Mais n’y connaissant rien en races de chien ; je vais devoir la jouer fine. Un dogue de Majorque m’a t-elle dit. Renifler le cul des chiens et comparer avec leurs déjections. Une lourde tâche dans ce lieu mal entretenu où les chiottes semblent plus grands que la maison qui les accueille.
Et cette lumière qui n’en finit pas de baisser. Demain, il sera peut-être trop tard : mon ventre aura explosé dans le vide !
Un survol de quelques secondes me permet de faire un pré-tri parmi les crottes de quelques jours et celles, plus fraîches, de quelques heures. Les plus anciennes étant devenues complètement inutiles… Ah ! Le règne animal est bien fait : les chiens ont leurs habitudes et c’est chacun dans un coin de quelques mètres carré qu’ils se vident les intestins. La tâche devrait être moins rude que prévu.
Là, près d’une branche cassée de figuier, je crois détecter… oui ! Il y a un peu de Sabine sur ce joli colombin ! Je retourne comparer avec le derrière des chiens et je sais désormais à quoi ressemble un dogue de Majorque. Je reviens sur mes battements (l’équivalent des « pas » pour les humains). Ah ! Une autre jolie crotte, à trois au quatre centimètres, de même fraîcheur, plus ovale, plus épaisse, mais avec un peu moins de Sabine. Si au moins elles se touchaient, ça aurait été plus simple. Mais laquelle choisir ? C’est en regardant encore une fois la lumière décroître que le choix se fait. Par défaut. Ce sera la plus petite, mais avec plus de Sabine. En plus d’autres nutriments comme des croquettes (de bas de gamme), un mélange de pain trempé avec des légumes des jardins du coin et un lézard. Étrange régime de ce clebs. Mais (ouf!) suffisamment de place et un nid parfait pour la ponte. Ce sont les enfants qui vont être heureux !
Allégée d’une bonne centaine d’œufs, je reprends mon envol (trois-cent mètres à peine) jusqu’à la table de saucisson et sangria. Mince ! Ils ont débarrassé. Ça sirote vite dans cette famille ! Je vais devoir me contenter des restes de sucre sur une éponge mal rincée. Et c’est là que je passe la nuit : sur un évier en inox, entre une éponge et une bouteille de liquide-vaisselle citronné, même pas comestible quoique en fasse penser le parfum. Suite ici
Hauah ! J’ai adorée ! Je ne verrais plus les mouche pareil maintenant !
Quelle imagination ! A coup sûr, l’auteur a eu une vie animale antérieure.
Je m’empresse de lire le reste.
Bravo. J’adoooore cette nouvelle, cette perspective inattendue. Chapeau Grégoire !