©Christophe GRÉGOIRE 2023
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à Marie-Claire M.
Certificat de dépôt horodaté : N°D52424-18305
Le crépuscule étirait ses doigts orangés à travers des rideaux sans charme, projetant des ombres douces dans la petite pièce où Giuseppe aimait laisser son esprit errer. La pièce de vie, baignée d’une lumière tamisée provenant d’une vieille lampe de bureau couverte d’un voile fin, était emplie du parfum réconfortant du bois poli.
Giuseppe, la soixantaine marquée par le temps et la réflexion, se trouvait assis devant son bureau en chêne massif. Des étagères débordantes de livres, anciens pour la plupart, encadraient la pièce, leurs dos usés témoignant de nombreuses mains qui les ont effleurés. Un amas d’objets qui, pour la plupart, n’avaient rien à faire sur un bureau (un vieil Opinel, un paquet de mouchoirs et un cendrier dégueulant) côtoyaient des feuilles, des bouts de papiers chiffonnés et griffonnés, témoins d’une passion intemporelle pour l’écriture à la manière classique : papier, stylo et une vieille Olympia poussiéreuse.
Le bureau lui-même portait les cicatrices du temps ; des rainures délicates tracées par d’innombrables passages de plumes et de stylos, voire de tâches d’encre. Cette machine à écrire, dont le cliquetis rythmique avait accompagné de nombreuses nuits d’insomnie, trônait fièrement à côté d’une pile de ces papiers froissés. C’était dans cet espace imprégné de l’odeur envoûtante de la moisissure des vieux livres que Giuseppe trouvait refuge.
La fenêtre entrouverte laissait filtrer une brise légère, portant avec elle les murmures apaisants du chemin cabossé en contrebas. Un rai de lune commençait à se dessiner à l’horizon, jetant un éclat mystique sur la scène silencieuse. Les murs, tapissés de vieux tableaux et de croquis abstraits, semblaient eux-mêmes narrateurs d’histoires passées.
Giuseppe, penché sur son bureau, sortit une feuille de la ramette de papier et observa pensivement la feuille blanche devant lui. Là, au cœur de son sanctuaire, il laissa son esprit s’ouvrir aux possibles. Les stylos et tout le matériel d’écriture étaient les témoins silencieux de ses pensées. Tout cela semblait attendre avec impatience le prochain chapitre d’une histoire à écrire. Et c’est dans cette pièce, enveloppée du charme de l’écriture à l’ancienne, que quelque chose d’extraordinaire allait se produire, quelque chose qui transcenderait les frontières du papier et de l’encre.
La vieille maison de Giuseppe était un refuge du monde moderne, nichée au cœur de la Bretagne paisible, celle, fort heureusement, oubliée des touristes. Les pierres usées par le temps racontaient l’histoire d’une demeure qui avait traversé les époques, résistant aux changements de la vie moderne. Des volets bleus en bois craquelé encadraient des fenêtres aux vitres déformées, bullées, laissant filtrer la lumière naturelle avec de jolis effets sur le sol. Les murs épais en pierres gardaient la chaleur de l’été et celle de la cheminée en hiver. Les planchers de bois grinçaient doucement sous le poids des pas, ajoutant une mélodie discrète à la quiétude de cette bicoque. Des photos, la plupart en noir et blanc, ornaient les murs jaunis par la cigarette, capturant des instants figés du passé de Giuseppe, des souvenirs immortalisés par l’objectif d’une époque révolue, celle avec son fils Leo, d’un lointain voyage en Italie.
À l’extérieur, un jardin s’étendait paisiblement autour de la maison. Les marronniers centenaires, leurs feuilles bruissant doucement dans la brise, offraient une ombre bienvenue pendant les chaudes journées d’été. Un âne curieux (et surtout bruyant), nommé Marcel, faisait souvent une apparition, ajoutant une touche de charme rustique à l’ensemble. Les parterres de fleurs colorées encadraient le paysage, et des herbes sauvages poussaient entre les pavés irréguliers du chemin menant à la porte d’entrée.
Le doux murmure d’un ruisseau voisin complétait la plénitude naturelle qui enveloppait la maison. L’air était imprégné d’un mélange de senteurs, des roses en fleurs à l’odeur boisée des vieux arbres. La sérénité de cet endroit était le parfait contrepoint à l’agitation de la vie moderne, à quelques kilomètres de là, créant un sanctuaire où Giuseppe pouvait laisser son imagination s’épanouir.
C’est dans ce coin reculé, entre les pierres chargées d’histoire, la verdure luxuriante et la compagnie heureusement lointaine de Marcel, que Giuseppe trouvait son inspiration. C’était ici, dans cette atmosphère intemporelle, qu’il laissait vaquer ses pensées pour un voyage imaginaire.
Toutefois, depuis quelques années, l’éclat de l’inspiration s’était éteint dans la vie de Giuseppe. Une sécheresse créative semblait avoir pris résidence dans son esprit, et chaque tentative pour raviver la flamme de l’imagination se soldait par une défaite silencieuse. Pourtant, cette aridité artistique n’était qu’une facette de la solitude qui avait élu domicile dans le cœur de Giuseppe. Depuis plus de cinq ans, un silence épais enveloppait sa relation avec sa vieille mère. Une lointaine rancune, tel un mur infranchissable, s’était dressée entre eux, transformant les mots parfois tendres d’autrefois en un silence glacial. À plus de quatre-vingt dix ans, Giuseppe savait que le temps n’était pas son allié, que chaque journée éloignait sa mère un peu plus encore. Dans l’ombre de cette réalité implacable, l’écrivain se trouvait face à une page blanche qui reflétait non seulement l’absence d’inspiration, mais aussi le vide émotionnel qui marquait son existence solitaire.
Les jours s’écoulaient lentement dans cette maison simple et finalement sans vraiment de charme, rythmés par le ballet des saisons et le clapotis régulier du ruisseau voisin. Les matins étaient empreints du doux parfum du Moka fraîchement moulu, alors que les premiers rayons du soleil éclairaient la cuisine rustique avec une lueur chaleureuse.
Giuseppe, enveloppé dans la quiétude de son quotidien, se livrait autrefois à sa passion pour l’écriture avec une dévotion infatigable. Des stylos hésitants griffonnaient les pages, dévoilant des histoires imprégnées du charme d’une époque et d’un lieu imaginaires la plupart du temps. Le claquement régulier de la vieille machine à écrire ajoutait un rythme musical à la symphonie créative. Objet de toutes les moqueries de Leo qui lui, passait de son PC au smartphone dernier cri avec une dextérité déconcertante…
À l’ombre des vieux marronniers, Giuseppe écrivait jadis des mondes entiers, des personnages façonnés par les méandres de son imagination parfois fertile. Les pages s’empilaient, créant une bibliothèque personnelle de rêves et de récits qu’il espérait captivants. Le murmure du ruisseau semblait accompagner chaque virgule, chaque point, comme si la nature elle-même était la complice silencieuse de ses œuvres. Marcel, l’âne voisin, devenait parfois le spectateur attentif de cette danse créative. Ses yeux curieux suivaient Giuseppe alors qu’il se promenait dans le jardin, cherchant l’inspiration parmi les pétales des roses et les feuilles des marronniers. L’âne, avec son regard perspicace, semblait comprendre l’importance de chaque mot tissé par la plume du vieil homme. Et il le faisait savoir avec un braiment à réveiller toute la campagne environnante.
Le soir tombait doucement, peignant le ciel de nuances d’orange et de rose. Giuseppe, rassasié de sa journée de réflexion, contemplait le paysage tranquille depuis la véranda de sa maison. Les étoiles s’allumaient une à une, et le murmure du vent et des derniers oiseaux fusionnait avec les bruits nocturnes de ce bout de Bretagne. C’était dans ce cadre enchanteur, entre les murs imprégnés d’histoire, les marronniers sentinelles et la complicité bruyante de Marcel, que Giuseppe chervchait l’essence même de son inspiration. Chaque parcelle de ce lieu évoquait un monde de possibilités, un monde où le cachet de son écriture prenait vie, inscrit dans les pages qui portaient le poids du passé et la promesse de l’avenir.
Le lendemain matin, Giuseppe s’assit à son bureau, la lumière douce du jour filtrant à travers les volets entrebâillés. Une page blanche, comme un défi silencieux, l’attendait. Le stylo glissait entre ses doigts, sa main hésitante effleurant à peine le papier immaculé. La pièce, autrefois vibrant de l’énergie créatrice de Giuseppe, semblait retenir son souffle.
Et si le retour de la créativité, c’était aujourd’hui ?
Virgule, la jeune chatte tigrée qui avait élu domicile dans la maison, s’étira paresseusement sur le rebord de la fenêtre. Ses yeux rubis observaient Giuseppe avec une curiosité non dissimulée, comme si elle percevait l’inquiétude dans l’air. Le regard de Giuseppe tomba sur la page, encore vierge de toute marque. Il inspira profondément, cherchant les premiers mots qui devraient donner naissance à une nouvelle histoire. Les idées semblaient flotter dans l’air, insaisissables, refusant de se laisser capturer.
Le stylo, d’abord timide, toucha à peine la surface du papier. Giuseppe tenta de tracer quelques mots, mais ils semblaient s’évaporer avant même de prendre forme. La page blanche demeurait imperturbable, un mystère insaisissable.
Une étrange frustration, devenue habituelle, s’empara de Giuseppe. Il se leva de son bureau, laissant la page en suspens, abandonnée. Virgule, sentant le changement d’atmosphère, s’approcha en frottant sa tête contre la jambe de Giuseppe. Un ronronnement réconfortant remplit la pièce.
Giuseppe se roula une cigarette et se dirigea vers un vieux meuble en bois où reposait une bouteille de vodka ramenée d’un vieux voyage en Pologne. Il versa quelques gouttes incolores dans un verre ébréché, se laissant hypnotiser par la délicatesse des effluves. Un remède pour l’inspiration, pensa-t-il, comme s’il pouvait noyer les blocages créatifs dans cet alcool à désinfecter son for intérieur.
De retour à son bureau, la cigarette à la bouche et le verre de vodka à portée de main, Giuseppe fixa à nouveau la page blanche. Les premières gorgées brûlantes semblaient libérer une tension, une libation pour son esprit créatif. Il tenta à nouveau de tracer des mots, cette fois avec une assurance nouvelle. Mais la page blanche résista, imperturbable. Les mots semblaient flotter dans l’air, trop lointains pour être capturés. Giuseppe, pris dans un étau de frustration, vida le reste de la vodka d’un trait. Les émotions tourbillonnaient dans sa tête, créant un tumulte confus.
C’est alors, dans cette pièce empreinte de désarroi créatif, que quelque chose d’inattendu se produisit. Virgule, la chatte, s’approcha du bureau avec une curiosité féline. Ses yeux fixèrent la page blanche, et une étincelle semblait naître dans son regard.
La page blanche, comme si elle percevait l’essence de la situation, commença à onduler doucement, comme soulevée par un courant d’air minuscule. Des contours flous se dessinèrent, une vie nouvelle semblait s’insinuer dans le papier autrefois statique. Giuseppe, encore sous l’emprise de l’alcool, fixa la scène avec des yeux incrédules. La page blanche, désormais imprégnée d’une énergie mystérieuse, attendait de révéler les secrets qu’elle avait recelés.
Le ronronnement apaisant de Virgule emplissait la pièce tandis que la page blanche, comme animée par cette force invisible, continuait à prendre vie. Des traits délicats, comme des volutes d’encre, s’étalaient sur sa surface autrefois immaculée. Des lignes se croisaient et se mêlaient, formant des motifs complexes qui semblaient raconter une histoire propre.
Éberlué, Giuseppe observa le spectacle avec un mélange de fascination et d’incompréhension. La vodka dans son verre était à présent emplie d’émotions tourbillonnantes. Il cligna des yeux, se demandant s’il assistait à un phénomène réel ou s’il était le jouet de son esprit enivré.
Le braiment lointain de Marcel le fit sortir de cet état second.
Virgule, toujours aux côtés de Giuseppe, semblait être la seule à comprendre la transformation qui s’opérait. Elle fixait la page blanche avec une intensité inhabituelle, ses yeux reflétant une sagesse insoupçonnée.
C’est alors, au milieu de ce tableau onirique, que la page blanche émit un murmure délicat. Une voix légère, presque chuchotée, s’éleva dans la pièce :
– Virgule, compagne de l’encre et du silence, tu comprends le langage des histoires qui naissent entre les lignes. Partages-tu la vision de Giuseppe, sur ses terres de l’imaginaire ?
Les yeux de Virgule s’illuminèrent d’une lueur particulière, comme si elle répondait à la question muette de la page. Giuseppe, persuadé que l’alcool brouillait sa réalité, sourit en sirotant de nouveau sa vodka.
– Virgule, ma p’tite féline, que vois-tu dans ce ballet d’un vieux poivrot ? murmura-t-il, cherchant à partager sa perplexité avec sa compagne de tous les jours.
Pendant ce temps, la page blanche continuait de s’animer, chaque trait évoquant une conversation imaginaire entre elle et la petite chatte. Des silhouettes gracieuses prenaient forme, échangeant des idées mystérieuses dans un langage qui transcendait les mots écrits. Virgule, avec sa présence silencieuse, semblait être une interprète entre deux mondes insoupçonnés.
Giuseppe, pensant que son ébriété déformait la réalité, but encore une gorgée de vodka, s’imaginant que chaque goutte éveillait des visions extraordinaires. Il cligna des yeux, cherchant à démêler le fil entre la réalité et l’illusion.
Pourtant, la conversation entre la page blanche et Virgule se poursuivait, une danse mystique entre le tangible et l’invisible, le réel et l’imaginaire. La vodka, désormais teintée de l’étrange magie de la création, ajoutait une dimension enivrante à cette scène improbable. Et dans cette symphonie singulière, Giuseppe, Virgule, et la page blanche, se laissaient emporter par un flux d’inspiration et de mystère, tissant une réalité qui dépassait les limites de la compréhension rationnelle.
La page blanche, les volutes d’encre se mouvant comme des vagues sur son étendue, murmura encore, sa voix résonnant doucement dans l’atmosphère :
– Virgule, gardienne des secrets qui se cachent entre les lignes, que ressens-tu lorsque tes yeux avides parcourent ces mots naissants ? Quel monde percevais-tu avant même que Giuseppe ne trace ces premières lettres ?
Sceptique, Giuseppe lâche nerveusement à sa chatte :
– Virgule, n’écoute pas ces conneries : j’ai du faire tomber un peu de vodka sur la page : elle est en plein délire !
La jeune chatte, toujours d’un silence majestueux, inclina légèrement la tête, comme si elle s’interrogeait sur une réflexion inscrite dans l’air. Ses yeux, perçants comme des éclats d’émeraude, semblaient contenir une sagesse profonde.
La page blanche, réceptive à cette communication muette, poursuivit :
– Giuseppe s’interroge sur le pouvoir de ses mots, sur la magie qui émane de chaque encre déposée. Ses doutes sont des ombres qui obscurcissent la lumière de la création. Dis-moi, Virgule, comment percevais-tu son cœur et son esprit avant même que la plume ne touche le papier ?
– Non mais c’est fini vous deux ? Je vais te chiffonner, moi !
Et, agacé comme rarement, actionnant son vieux Zippo :
– Je vais te foutre le feu au cul, moi ! On va voir si tu continues à parler à Virgule comme ça. Non mais pour qui tu te prends ? T’es même pas une page blanche ! Tu es juste du papier recyclé ! Un vulgaire torche-cul !
Virgule s’avança, posant sa patte sur le bord du bureau, comme pour affirmer sa présence dans ce dialogue éthéré. Ses yeux clignotèrent d’une lueur bienveillante, presque compatissante.
Pendant ce temps, Giuseppe, toujours assis à son bureau, levait son verre à intervalles réguliers. Il pensait que chaque gorgée le rapprochait de cette réalité incertaine où les pages pouvaient parler et les chats comprendre des mondes cachés. D’ailleurs, cela, il en a toujours été convaincu.
La page blanche, poursuivant sa quête d’échange, murmura :
– Virgule, éclaire-nous sur les pensées de Giuseppe. Comment lis-tu le tumulte de ses émotions dans chaque ligne qu’il trace ?
D’une démarche gracieuse, Virgule sauta sur le bureau et se coucha près de la page blanche. Ses yeux semblaient scruter l’âme même de Giuseppe, décryptant les tourments et les espoirs qui se mêlaient dans son esprit. Giuseppe, maintenant convaincu que son esprit s’égayait sous l’influence de l’alcool, se laissa emporter par le spectacle. La vodka dans son verre devint le fil conducteur entre deux mondes, le lien liquide entre la réalité et l’illusion. C’était, ma foi, une situation peu ordinaire mais bien agréable.
La page blanche, toujours vibrante d’une énergie mystérieuse, attendait les réponses silencieuses que Virgule, la gardienne des mystères, pouvait offrir. Et dans cette alcôve d’inspiration imprévue, une conversation transcendant les frontières de la compréhension humaine continuait de se déployer.
La matinée s’étirait doucement, révélant les premières lueurs du jour à travers les fenêtres entrouvertes de la maison de Giuseppe. La page blanche, désormais animée d’une conscience naissante, ondulait comme si elle voulait attirer l’attention de l’écrivain en proie à ses pensées.
– Giuseppe, chuchota la page, ses lignes prenant vie avec une douceur délibérée, pourquoi écris-tu? Quelle quête te pousse à coucher des mots sur le papier ?
Surpris par cette question inhabituelle, Giuseppe posa son stylo et regarda la page blanche d’un air interrogateur.
– Pourquoi j’écris ? répéta-t-il, comme s’il cherchait lui-même la réponse au-delà des motifs évidents. Pourquoi j’écris ? En voilà une question ! Pourquoi parles-tu, toi ?
La page blanche insista, ses contours vibrant doucement.
– La vérité, Giuseppe, s’il te plaît. Creuse au plus profond de ton cœur. Pourquoi fuir la réalité de la vie à travers ces lignes, ces histoires que tu tissais avec tant de ferveur ?
Giuseppe détourna le regard, comme s’il se confrontait à une réalité qu’il avait jusque-là évitée. Après un moment de silence, il soupira.
– J’écris pour fuir, c’est vrai. Pour m’échapper d’une réalité qui m’écrase, d’une société à laquelle je ne me sens plus connecté. C’est ça ou je me balance au bout d’une corde. Tu as vu le monde de merde dans lequel on vit ?
La page blanche, empreinte d’une compréhension nouvelle, murmura :
– La création, un refuge pour l’esprit en quête de paix. Mais quels tourments te poussent à chercher cet échappatoire, Giuseppe ?
C’est à ce moment que Virgule, la petite chatte s’avança et se frotta contre la jambe de Giuseppe. Ses yeux perçants semblaient sonder l’âme même du sexagénaire.
Giuseppe, touchant distraitement la fourrure douce de Virgule, soupira à nouveau.
– Je me questionne sur tant de choses ! La vie, la mort, la création, la société, les guerres, la politique, la misère, l’écologie, l’immigration, les cons… Toutes ces facettes de l’existence me passionnent, me tourmentent. Je cherche des réponses à travers mes mots, mais chaque histoire que je crée semble soulever plus de questions encore.
La page blanche, comme enveloppée d’une aura de sagesse nouvellement acquise, répondit :
– Écrire pour questionner, questionner pour comprendre. Une quête infinie. Mais, Giuseppe, n’est-ce pas dans ces questionnements que réside la beauté de la création ?
Absorbé par la profondeur de la conversation, Giuseppe hocha lentement la tête, en signe d’approbation.
– Peut-être, oui. Peut-être que l’acte d’écrire, de chercher des réponses même lorsque elles sont éphémères, est ma façon de naviguer à travers les méandres de mon existence.
La page blanche, telle une toile vierge tendue entre deux mondes, persistait dans son questionnement envers Giuseppe.
– Que cherches-tu à fuir, Giuseppe, dans ce monde que tu crées avec tant d’ardeur ?
– Mais tu m’emmerdes avec toutes tes questions ! Tu ne peux pas te contenter d’être une simple page ? Tu te prends pour qui, toi, avec toutes ces questions ?
Giuseppe, les yeux perdus dans l’horizon invisible de ses pensées, réfléchit pourtant à la question. Puis, reprenant son calme habituel :
– Je fuis la réalité, la cruauté du monde, les injustices que je perçois comme insurmontables. Je me réfugie dans les mots pour échapper aux maux, à la dureté de la vie quotidienne, pour créer un univers où je pourrais influencer le cours des choses.
La page blanche, malgré son apparente vacuité, acquiesça comme si elle comprenait le fardeau qui pesait sur les épaules de l’écrivain.
– Tu cherches refuge dans l’imaginaire pour échapper à ce qui te semble inévitable. Mais, Giuseppe, est-ce que créer un monde parallèle te permet vraiment de fuir ?
Virgule, toujours attentive, ajouta sa voix subtile à la conversation.
– Giuseppe, la création n’est-elle pas aussi une confrontation avec soi-même, une exploration des recoins obscurs de l’âme que tu tentes d’éviter ?
Confronté à ces interrogations profondes, il baissa les yeux.
– Peut-être que j’essaie de fuir certaines vérités sur moi-même, sur la société, sur la vie en général. Créer des mondes me permet de me perdre dans des réalités alternatives, mais au fond, je reste un fugitif de mes propres pensées…
La page blanche sembla frémir, comme si elle percevait une vérité essentielle.
– Fuir ne résout pas les conflits intérieurs, Giuseppe. Peut-être que la clé réside dans l’exploration de ces vérités, dans l’affrontement des ombres que tu cherches à dissiper.
Giuseppe, songeur, prit une gorgée de sa vodka, laissant le feu du breuvage glisser dans sa gorge.
– Vous avez raison, toutes les deux. Peut-être est-il temps que j’arrête de courir et affronter enfin les démons que je crains. Mais avec le risque de ne plus pouvoir écrire ! Mais je ne suis pas prêt à prendre ce risque. Désolé !
Virgule, d’un mouvement élégant, se rapprocha de Giuseppe, posant sa patte sur sa main comme pour le réconforter. La page blanche, toujours aussi énigmatique, murmura :
– Giuseppe, l’acte d’écrire n’est pas seulement une fuite, c’est aussi un miroir. Peut-être que dans ces lignes, tu trouveras non seulement l’évasion que tu cherches mais aussi la révélation que tu redoutes.
Giuseppe acquiesça, une résolution naissant dans son regard fatigué.
– Il est temps d’écrire sans fuir, d’affronter la réalité dans toute sa complexité. Merci, Virgule, merci, Page Blanche, de me rappeler qui je suis vraiment.
Ainsi, dans l’ombre de ses questionnements, Giuseppe s’apprêta à écrire non pas pour fuir, mais pour affronter, découvrant que la magie de l’écriture réside parfois dans la confrontation avec soi-même, dans la quête sans fin des vérités enfouies sous les lignes blanches de la vie.
Une nuit tombait doucement, baignant la pièce dans une lueur tamisée. Virgule, la petite chatte qui avait jusqu’à présent observé en silence, s’avança avec une démarche gracieuse. Ses yeux semblaient contenir des énigmes non dévoilées, et son attitude suggérait une compréhension au-delà de la simple félinitude.
S’installant sur le bureau à côté de la page blanche, Virgule fixa Giuseppe d’un regard perçant. Puis, d’une voix délicate mais claire, elle demanda :
– Giuseppe, pourquoi moi ? Pourquoi as-tu choisi la compagnie d’une chatte plutôt que celle d’une femme ?
Giuseppe, surpris par cette soudaine manifestation de parole chez Virgule, resta un instant silencieux. Puis, il sourit doucement.
– Virgule, ma compagne jusque là silencieuse, je t’ai choisie parce que dans ta présence, il y a une sagesse qui va au-delà des mots humains. Les femmes, avec leur complexité et leur beauté, portent aussi les fardeaux des conventions sociales. Toi, tu es libre, dégagée de ces attentes. Tu es une amie sans jugement, une confidente sans préjugés. Et on s’aime juste pour ce que l’on est. Rien de plus, rien de moins.
Virgule, acquiesçant d’un léger mouvement de tête, continua son questionnement.
– Mais Giuseppe, en me choisissant, n’as-tu pas également fui la complexité des relations humaines ? N’as-tu pas cherché refuge dans la simplicité et la quiétude de ma présence féline ?
Confronté à cette introspection venue d’une source inattendue, il réfléchit un moment.
– Peut-être, Virgule. Peut-être que dans ton regard sans artifice, j’ai trouvé la paix que je n’aurais pas trouvée dans le tumulte des relations humaines. Peut-être que, parfois, la simplicité est le remède dont l’âme a besoin. Du moins la mienne…
La petite chatte, avec une assurance étonnante, persista :
– Cependant, Giuseppe, ne crains-tu pas l’isolement que peut apporter le choix d’une telle simplicité? Les liens humains, malgré leur complexité, portent aussi la richesse de la compréhension mutuelle et de la chaleur partagée, non ?
Giuseppe, songeur, observa Virgule avec un mélange de gratitude et d’introspection.
– Tu as raison, ma belle. L’isolement est parfois un fardeau lourd à porter. Mais dans la quiétude de cette solitude choisie, j’ai trouvé une certaine forme de liberté. C’est un compromis, une balance délicate entre la simplicité et la complexité.
Virgule, avec un air de satisfaction, reprit sa place près de la page blanche.
– Giuseppe, que tes choix soient guidés par la sincérité de ton cœur. Que la simplicité ou la complexité, chacune soit une voie vers l’épanouissement de la personne que tu es.
Ainsi, dans la lumière douce de la nuit, Virgule avait non seulement trouvé sa voix, mais elle avait également ouvert une fenêtre sur les choix et les motivations profondes de Giuseppe. La page blanche, toujours témoin silencieux, attendait que ces réflexions se matérialisent en mots, en histoires, en une exploration continue des nuances de la vie.
Les jours passèrent, marquant l’évolution subtile de l’atmosphère dans la maison de Giuseppe. La page blanche, vibrante d’attente, semblait prête à accueillir les confidences qui tardaient à se dévoiler. Virgule, désormais dotée de la parole, continuait à observer son maître avec une perspicacité féline.
Un soir, alors que l’encre de la nuit s’étendait sur le ciel, Virgule se glissa sur les genoux de Giuseppe et, d’une voix douce, poursuivit les questionnements.
– Giuseppe, au-delà de ton amertume envers ce monde, cette société, pourquoi écris-tu vraiment ? Qu’est-ce que tu cherches à exprimer à travers ces mots que tu poses sur tes pages ?
Giuseppe, caressant doucement la fourrure de Virgule, considéra la question avec sérieux.
– Écrire, c’est ma façon de comprendre le monde qui m’entoure, de donner une voix à mes pensées tourmentées. C’est une quête de sens, un moyen de créer des ponts entre les fragments éparpillés de la réalité.
La petite chatte, les yeux brillants d’une lueur de curiosité, enchaîna :
– Et pourtant, malgré toutes ces histoires que tu crées, la page blanche demeure vierge ! Pourquoi cette barrière persistante entre tes pensées et l’encre qui pourrait les capturer ?
Giuseppe soupira, sentant le poids de cette question.
– Je crains, ma petite panthère. Je crains que mes mots ne soient pas assez, que mes histoires ne soient pas à la hauteur des tourments qui bouillonnent en moi. La page blanche devient un miroir intransigeant, reflétant mes doutes et mes incertitudes.
La page blanche, immobile mais attentive, semblait vibrer légèrement, comme si elle ressentait la confession de Giuseppe. Virgule, avec une tendresse inhabituelle, miaula :
– Giuseppe, n’as-tu jamais pensé que peut-être la perfection que tu cherches dans tes mots est une quête insatiable ? Que parfois, l’imperfection elle-même porte la beauté de l’authenticité?
Giuseppe, confronté à cette perspective, sourit avec une pointe d’amertume.
– Peut-être, Virgule. Peut-être que je me suis perdu dans la quête de l’inatteignable. Mais comment accepter l’imperfection quand les mots que je choisis portent le poids de mes convictions les plus profondes ?
Avec une sagesse déconcertante, la petite chatte répondit :
– Accepter l’imperfection ne signifie pas compromettre la vérité de tes convictions, Giuseppe. Cela peut être la clé pour libérer les mots qui se cachent dans l’ombre de la perfection recherchée.
La nuit s’étendait, le clair de lune dessinait des ombres sur les murs, et la vodka dans le verre du vieil homme semblait refléter les échos de cette conversation surnaturelle. Entre les silences et les paroles, les écrivains, les chats, et les pages blanches, continuaient leur danse éternelle, explorant les méandres de la création et les mystères de l’âme humaine.
Un après-midi, alors que Giuseppe errait le long des sentiers boisés, cherchant l’éclat d’inspiration qui se dérobait à lui, la page blanche et Virgule se regardèrent avec une complicité grandissante. Une énergie étrange semblait se répandre entre elles, tissant un plan qui échapperait à la compréhension de Giuseppe.
– Virgule, chuchota la page blanche, ses contours frémissant légèrement, il est temps que l’on crée quelque chose de spécial, quelque chose qui éveillera l’esprit de Giuseppe de manière nouvelle.
Virgule, d’un coup d’œil malicieux, inclina la tête en signe d’assentiment :
– Quelle est ta proposition ?
La page blanche esquissa des formes fugaces, dessinant une trame invisible.
– Construisons une histoire qui se déroulera sous ses pas, une histoire où le réel et l’imaginaire se mêleront de manière inextricable. Dans cette fusion, peut-être que Giuseppe trouvera l’inspiration qui lui échappe !
Virgule, avec un éclat de complicité dans les yeux, miaula doucement.
– Une histoire qui se tisse dans l’ombre des arbres, une histoire où les mots deviennent des ponts entre les mondes. J’aime cette idée, vieille page blanche. Par où commençons-nous ?
Page Blanche commença à tracer des lignes délicates, comme si elle écrivait déjà le début de l’histoire dans les plis de son être.
– Commençons dans son monde familier, sur ce sentier boisé qu’il arpente en ce moment même. Introduisons des éléments qui captureront son imagination, des mystères qui le conduiront plus loin que jamais.
Pendant que Giuseppe avançait, absorbé par les murmures des feuilles et les secrets de la nature, Page Blanche et Virgule intensifièrent leur conspiration, entrelaçant les fils d’une histoire qui allait s’épanouir sous les yeux de l’écrivain en quête d’inspiration.
La page blanche, avec une intensité grandissante, murmura :
– Virgule, guide-le vers quelque chose d’extraordinaire, quelque chose qui transcendera les frontières de son quotidien. Éveillons sa curiosité, mettons en lumière l’inattendu.
Virgule, agile et silencieuse, scrutait les environs. Soudain, elle repéra un éclat mystérieux entre les troncs d’arbres, un éclat qui semblait être une porte entre les mondes.
Alors que Giuseppe s’approchait de cet endroit envoûtant, Page Blanche et Virgule intensifièrent leur complot, tissant les fils d’une histoire qui allait élargir les horizons du créateur en quête d’une nouvelle inspiration. Les frontières entre la réalité et l’imaginaire se brouillaient, et dans cette danse mystique, une aventure inattendue prenait vie.
Alors que Giuseppe s’éloignait, immergé dans la sérénité des sentiers boisés, Page Blanche et Virgule échangèrent des regards significatifs. Une conversation silencieuse commença à se tisser entre elles, comme si les pages de la vie de Giuseppe étaient révélées dans les ombres de sa propre création.
Virgule, avec une sagesse féline, miaula doucement vers la page blanche.
– Tu sens aussi les tourments qui habitent son cœur, n’est-ce pas ?
Page Blanche, vibrant d’une énergie particulière, répondit avec des lignes ondoyantes.
– Je ressens les cicatrices de son passé, les souvenirs d’une enfance marquée par la tragédie et les secrets. Giuseppe écrit pour échapper à ces ombres qui persistent, pour construire des mondes où il peut redéfinir son histoire.
Virgule, avec un air de compréhension, poursuivit :
– Je crois que son besoin d’évasion remonte à son enfance. Son père a choisi de partir quand il était encore un enfant. Tu savais ?
La page blanche acquiesça silencieusement, déployant des lignes qui semblaient murmurer un assentiment.
– Oui, son père a choisi la fin prématurée du chapitre de sa vie, laissant derrière lui un jeune Giuseppe marqué par l’absence. C’est une blessure qui a laissé des empreintes indélébiles dans son existence.
Virgule, les yeux brillants d’une tristesse compréhensive, ajouta :
– Et l’adolescence de Giuseppe, elle est bâtie sur un mensonge, n’est-ce pas ? Un mensonge de sa mère, qui a caché quelque chose d’important à propos de son père. Ou à propos d’elle-même.
La page blanche révéla des formes qui semblaient exprimer un accord pesant.
– Le mensonge est le fil conducteur dans l’histoire de Giuseppe. Sa mère a choisi de dissimuler une vérité déchirante : son père n’est pas simplement parti, il a choisi de partir de manière irréversible pour laisser sa femme face à elle-même.
Virgule, le regard voilé par une tristesse partagée, conclut :
– Ainsi, Giuseppe écrit pour fuir une réalité qu’il n’a jamais pu accepter. Chacun de ses mots est une tentative de reconstruire un monde où son père n’est pas parti, où les mensonges ne pèsent pas sur ses épaules. Nous devons l’aider à trouver la force d’affronter ces vérités, même si cela signifie plonger dans les profondeurs d’un passé douloureux.
Page Blanche et Virgule, toutes deux gardiennes des mystères de Giuseppe, continuèrent leur conversation silencieuse, tissant des liens entre les ombres du passé et les lignes de l’avenir. Pendant que Giuseppe cherchait l’inspiration à l’orée des bois, les forces invisibles de son passé et de son présent convergèrent dans une danse subtile, prêtes à dévoiler les chapitres inexplorés de son histoire.
Virgule, assise près de la page blanche, choisit ce moment paisible pour partager avec son acolyte la complexité de l’histoire de Giuseppe. La lumière douce du jour jouait à travers les feuilles, créant une atmosphère de confidence entre les deux gardiennes des mystères.
– Page blanche, commença Virgule d’une voix douce mais résolue, l’explication que la mère de Giuseppe a donnée au départ soudain de son père était simple : « Il était fatigué. Il s’est supprimé car il était fatigué !» Une explication délibérément vague pour dissimuler une vérité trop lourde à porter, n’est-ce pas ?
La page blanche, réceptive à chaque mot, sembla onduler avec une compréhension croissante.
Virgule continua :
– Giuseppe a commencé à douter de cette explication quand il est devenu adolescent. Il a senti que quelque chose ne collait pas, que les contours de la vérité étaient flous. En grandissant, il a commencé à voir au-delà des illusions de sa mère, à comprendre la complexité des relations humaines et les mensonges qui se cachent derrière les sourires brisés.
La page blanche, dans son immobilité apparente, semblait absorber chaque nuance du récit de Virgule.
Virgule poursuivit :
– La mère de Giuseppe a érigé un voile autour de la mort de son père, dissimulant la réalité derrière une explication simpliste. Un mensonge de confort, quelques mots innocents qui allaient s’avérer dévastateurs. Mais Giuseppe, avec le temps, a démêlé les nœuds de ce mensonge. Il a découvert que son père avait quitté ce monde non pas par lassitude, mais par un choix plus sombre, un choix teinté du désespoir.
Page Blanche, comme si elle ressentait le fardeau de cette révélation, demeura silencieuse. Virgule conclut avec gravité :
– Giuseppe écrit pour donner une voix à cette douleur enfouie, pour révéler les ombres de son passé. Nous devons le guider, l’encourager à écrire sur ces vérités difficiles, à libérer les chaînes du silence qui entravent son cœur.
Les deux compagnes, unies par le secret qu’elles partageaient désormais, contemplèrent ensemble le monde à travers les yeux de Giuseppe. La page blanche était prête à accueillir les mots qui transcenderaient le voile de l’oubli, et Virgule était déterminée à être la muse qui guiderait l’écrivain mis à la pause vers la révélation de son passé enfoui.
Virgule, avec une sincérité douloureuse, partagea avec la page blanche les nuances les plus sombres de l’histoire de Giuseppe, dévoilant les secrets maternels qui avaient laissé des cicatrices profondes dans l’âme de Giuseppe.
– Page Blanche, murmura Virgule, la mère de Giuseppe, bien plus jeune que son mari, avait des besoins de liberté, un désir de charmer d’autres hommes. Aussi, elle s’est lancée dans une formation dans une autre grande ville, laissant derrière elle son mari, seul avec leurs deux enfants : Giuseppe et Mathilde.
La page blanche, éclairée par ces révélations, sembla réagir avec une sorte de compassion silencieuse.
Virgule continua :
– À plusieurs reprises, elle n’est même pas rentrée le week-end, restant avec son « collègue » de formation, qui est devenu très certainement son amant. Les absences répétées, les mensonges, tout cela a jeté une ombre sur le foyer de Giuseppe. Il a grandi dans un climat de trahison et d’abandon, se demandant pourquoi sa mère choisissait de fuir sa propre famille.
La page blanche, gardienne des mots à venir, semblait empreinte d’une solennité accrue.
Virgule conclut avec une pointe d’amertume :
– Giuseppe a porté le fardeau de ces révélations à mesure qu’il grandissait. La quête de liberté de sa mère a laissé des marques indélébiles sur son cœur, influençant sa vision des relations humaines et du monde en général. Nous devons l’encourager à écrire sur ces douleurs, à libérer ces souvenirs enfouis qui le hantent.
Ainsi, la page blanche devint le témoin muet des souvenirs douloureux de Giuseppe, prête à accueillir les mots qui donneraient vie à ces secrets enfouis. Virgule, compagne et confidente, était déterminée à être la fée qui guiderait l’écrivain vers la catharsis de ses tourments passés.
Virgule partagea avec Page Blanche les tourments qui étreignaient Giuseppe. C’était un homme troublé par le poids du mensonge de son enfance, une mère lui ayant murmuré que son père était parti « parce qu’il était fatigué ». La réalité, bien plus sombre, révélait que le père de Giuseppe avait choisi de s’effacer plutôt que de vivre avec une femme frivole, dont le cœur s’égarait parmi d’autres hommes. L’homme avait évolué dans un environnement où le divorce n’était pas monnaie courante, où le « qu’en dira t-on » avait toute son importance, ajoutant une complexité supplémentaire à l’intrication des sentiments et des secrets familiaux.
La page blanche, témoin silencieux des confidences de Virgule, semblait vibrer d’une tristesse partagée.
Virgule continua :
– Giuseppe a commencé à grandir avec l’idée que son père était parti par épuisement, par lassitude de la vie. Mais la réalité était bien plus douloureuse. La mère de Giuseppe a choisi de déformer la vérité pour protéger son fils, certes, mais surtout pour protéger son propre récit, cachant la complexité de la vie derrière une explication simpliste.
La page blanche, dans son immobilité, semblait prête à recueillir les mots qui dévoileraient ces mensonges entrelacés.
Virgule conclut avec gravité :
– Nous devons aider Giuseppe à exprimer ces tourments, à dévoiler la vérité qu’il porte en lui depuis si longtemps. La page blanche sera le réceptacle de ce psychodrame, un lieu où les mensonges sont transformés en mots, et où les ombres du passé peuvent enfin être éclairées.
Le retour de Giuseppe après sa promenade se fit dans le plus grand des silences. Il retourna à son bureau, se demandant ce qu’il pourrait bien écrire. Il regarda Virgule d’un air interrogatif, comme s’il cherchait chez sa chatte l’émergence d’une idée pour une nouvelle histoire. Au passage, Virgule lui rappela qu’elle avait faim. Que si lui, se nourrissait de vodka, Virgule, elle, il lui fallait des croquettes ou de la pâtée.
– Et dans une gamelle propre s’il te plaît ! Et pour information, ma litière ne sent pas la rose non plus ! Que tu ne prennes pas trop soin de toi est ton problème. Mais je suis là, mince alors !
Dans cette demande simple, une connexion sous-entendue entre l’homme et la jeune chatte se renforça.
Le lendemain, assis à son bureau, Giuseppe était face à sa page blanche, Virgule sur les genoux. Son regard chercha celui de l’animal, comme s’il espérait trouver dans les yeux de sa fidèle compagne l’inspiration qui lui manquait. Virgule le dévisagea d’un air soucieux, comme si elle ressentait l’énergie créative qui planait dans l’air. Giuseppe fixa à nouveau la page blanche qui l’attendait. Les mots semblaient hésiter, retenus par un fil invisible. Virgule, confortablement installée près de lui, observait avec une patience tranquille.
C’était un moment de silence fertile, où les pensées tourbillonnaient, cherchant leur chemin à travers le labyrinthe des émotions. La page blanche, telle une toile tendue devant Giuseppe, attendait d’être caressée par le pinceau de ses mots.
Dans cette quiétude, Giuseppe sentit le poids de la journée s’estomper. Les révélations, les souvenirs, tout convergeait vers ce moment d’écriture où les ombres du passé pourraient être façonnées en un récit authentique. Avec Virgule à ses côtés, le vieil homme se préparait à tracer les lignes de son histoire, à donner voix aux murmures longtemps étouffés de son âme.
Assis à son bureau, Giuseppe contempla le stylo tendu par Virgule avec une curiosité mêlée d’anticipation. C’était un vieux stylo plume, un compagnon négligé depuis longtemps, mais dans ses veines coulait l’encre de l’inspiration longtemps retenue. Giuseppe le saisit délicatement, ressentant une énergie inhabituelle émanant de l’objet.
Il se préparait à écrire l’histoire d’un cahier d’écolier extraordinaire, un cahier qui corrigerait les fautes et enseignerait aux élèves le véritable sens de la vie, dépassant les contraintes des dates historiques et des formules mathématiques. L’idée brillait dans son esprit comme une étoile lointaine, prête à être capturée par la magie de l’encre.
Cependant, au moment où la pointe du stylo toucha le papier, quelque chose d’inattendu se produisit. Les mots ne jaillirent pas de l’esprit de Giuseppe, mais du stylo lui-même ! Comme s’il avait acquis une vie propre, le stylo plume se mit à dégager une chaleur certaine, une brûlure douce. L’objet se mit à danser sur la page, traçant des lettres d’une calligraphie élégante et mystérieuse.
Giuseppe, prêt à commencer l’écriture de l’histoire du cahier d’écolier extraordinaire, tenait le vieux stylo plume dans sa main. Cependant, à la place des premières phrases émergeant de sa tête, le stylo prit une vie propre et écrivit ces mots mystérieux : Regarde-la telle qu’elle est, ta mère. Peu importe la femme qu’elle a été, que tu aies raison ou tort, cela n’a aucune incidence sur ta relation avec elle. Vois-la pour ce qu’elle représente pour toi : simplement ta maman.
Perplexe, Giuseppe fixa les mots sur la page, cherchant à comprendre la signification de cette prose inattendue. Ces phrases ne correspondaient en rien à ce qu’il avait envisagé d’écrire. Dans sa confusion, il tourna son regard vers Virgule, perchée non loin de lui, et lui demanda silencieusement son avis.
Virgule, avec ses yeux perçants, ne fit aucun commentaire. Giuseppe, à la recherche d’une réponse, tourna ensuite son attention vers la page blanche qui ne l’était plus tout à fait. Cependant, la page demeura muette, comme une toile attendant que l’artiste y insuffle la vie.
Alors que Giuseppe scrutait les mystérieux mots, le stylo plume reprit son mouvement. Sur la page désormais imprégnée d’encre, le stylo écrivit ces derniers mots énigmatiques :
« Pardonne-la. Pardonne-la comme moi je lui ai pardonné.
Papa. »
Cherchant à comprendre, à la recherche de réponses, son regard croisa celui de la jeune chatte, laquelle, tout en ronronnant, lui offrit un clin d’œil complice, exagérément scintillant.
Virgule ne prononça plus jamais un mot. Elle reprit sa juste place : une boule de poils ronronnante qui, peut-être, se souvenait de tout.
Mais peut-être pas…
FIN.
Salut l’auteur,
Poésie, émotion, une bonne pointe de romantisme. Une fin assez surprenante, mais j’aurais aimé différente qd même. Beau travail. Vous avez pas le projet de vous faire publié?
Je travaille sur un recueil, effectivement. Je ne sais pas encore vraiment quelles nouvelles privilégier, ni dans quel ordre, ni avec quel titre, et avec quelle illustration… Mais j’y travaille d’arrache-pied ! Merci pour votre soutien!
J’ai beaucoup cette nouvelle. Ces dialogues entre la page et le chat, je trouve ça bien. Et oui, c’est beau, tendre, romantique. Un peu tristoune quand même mais j’aimebien.
Merci Pierre-Antoine ! Au plaisir pour de prochaines nouvelles!