©Christophe Grégoire 2024
À vous toutes
Alexandre tenait entre ses mains tremblantes la carte de vœux récupérée dans la boite aux lettres. La neige, si rare spectatrice de l’hiver nantais, recouvrait les rues d’une blancheur éblouissante, apportant un silence ouaté à la ville. Il lisait et relisait l’invitation, perplexe. Qui, après tant d’années, pouvait bien se souvenir de lui au point de l’inviter à un dîner en ce début d’année ? La calligraphie, élégante, et les mots choisis avec soin, ne lui donnaient aucun indice sur l’expéditeur.
Derrière lui, Myriam l’observait, adossée au cadre de la porte, une tasse de café entre les mains. Un sourire en coin étirait ses lèvres, subtilement provocateur.
– Qui est-ce ? demanda-t-elle, un éclat espiègle dans les yeux.
Alexandre haussa les épaules sans se retourner, absorbé par l’invitation.
– Je l’ignore, répondit-il, le regard flottant entre le passé et le présent. Une invitation pour mardi soir… Et pour moi seul.
Son esprit était déjà en train d’essayer de résoudre ce mystère, fouillant dans les souvenirs de son passé, une époque où il était le chef de l’entreprise familiale depuis trois générations, avant que les aléas de la vie ne le conduisent sur un tout autre chemin.
Myriam fit quelques pas vers lui, posa sa tasse et s’empara de la carte pour la lire elle-même, le coin de ses lèvres toujours relevé dans ce sourire énigmatique qui n’échappait jamais complètement à Alexandre.
– C’est intrigant. Tu iras ? Tu devrais y aller, souffla-t-elle en lui rendant la carte, l’air presque complice.
La suggestion, à la fois légère et insistante, éveilla chez Alexandre un mélange d’excitation et de méfiance. Le regard de Myriam lui donnait l’impression d’être un pion dans un jeu qu’il ne maîtrisait pas entièrement. Pourtant, il se sentait poussé à accepter. Ce n’était peut-être qu’un simple dîner, mais quelque chose dans le ton de Myriam laissait entendre plus qu’elle ne disait.
– Oui, je pense que je dois y aller. Cela pourrait être important.
Alexandre se leva, la carte toujours en main. Il savait que cette invitation n’était pas qu’un simple dîner. C’était peut-être un morceau du puzzle de sa vie, un fil à tirer pour dérouler l’écheveau de son passé.
Les jours suivants furent marqués par une impatience latente chez Alexandre. Il ne cessait de repenser à l’invitation, examinant chaque mot, tentant de deviner qui pouvait bien se cacher derrière cette écriture féminine, à la fois délicate et affirmée. Plus il y réfléchissait, plus il se demandait pourquoi Myriam semblait si tranquille à l’idée qu’il y assiste. Cette sérénité éveillait en lui une forme d’inquiétude ; d’habitude, elle se montrait plus réservée face à ses impulsions d’homme aventureux. Peut-être était-ce quelqu’un du cercle de sa première femme, dont il avait perdu la trace après leur divorce ?
Alexandre tenait la carte de vœux à la lumière du jour naissant, tentant d’y déchiffrer un indice supplémentaire qui lui aurait échappé. Graphologue amateur dans son jeune temps, il avait immédiatement identifié l’écriture comme féminine, délicate mais assurée, une contradiction qui résumait bien sa vie amoureuse complexe. Des femmes, Alexandre en avait rencontré beaucoup, chacune laissant une marque indélébile sur sa vie, pour le meilleur, parfois moins.
En s’asseyant dans son fauteuil préféré, il laissa son esprit vagabonder vers le passé, un sourire nostalgique aux lèvres. Pourtant, derrière ce sourire, une inquiétude naissait.
Il avait été un homme de son époque, séduisant et séducteur, naviguant dans les relations avec une facilité déconcertante. Mais son comportement, autrefois considéré comme normal, habituel, pourrait-il être vu sous un jour différent aujourd’hui ?
Cette invitation, aussi amusante et excitante qu’elle lui paraissait au premier abord, commençait à prendre une teinte plus sombre. Qui, parmi toutes ces femmes, aurait voulu le revoir après tant d’années ? Et dans quel but ? L’idée qu’une personne du passé revienne avec une rancune ou un secret caché ne le quittait plus. Alexandre se rendait compte que l’époque où les langues se délient avait apporté son lot de révélations et de comptes à rendre. Et c’était là toute son inquiétude…
Curieusement, Myriam n’évoquait plus le dîner, évitant le sujet avec une discrétion inhabituelle. Elle semblait même agir avec une distance calculée, comme si elle prenait soin de ne rien lui révéler. Alexandre s’interrogea : était-ce simplement un jeu entre eux ? Avait-elle quelque chose en tête qui lui échappait encore ? Un jeu sexuel ? Il est vrai que ces derniers temps, tout devenait plus calme de ce côté-là. Et pas nécéssairemement lié à leur âge respectif.
Tout en se préparant pour le dîner, il ne pouvait s’empêcher de repenser à ses actions passées. Avait-il, dans un passé plus ou moins lointain, blessé quelqu’un au point de provoquer cette rencontre des années plus tard ? Son comportement, que son entourage jugeait parfois un peu lourd à l’époque, avait-il laissé une cicatrice invisible sur quelqu’un ?
La curiosité était toujours là, piquante et vibrante, mais elle était maintenant teintée d’une légère appréhension. Ce dîner n’était pas seulement une occasion de renouer avec le passé ; c’était peut-être aussi un moment de vérité, une confrontation avec une version de lui-même qu’il avait depuis longtemps oubliée ou choisi d’ignorer.
Le jour du dîner, Alexandre prit la route sous un ciel d’un gris perle, typique de l’hiver dans l’ouest de la France. Myriam eut ces quelques mots réconfortants :
– Profite bien, Alex… je suis sûre que ce sera une soirée… mémorable.
Ses mots résonnèrent dans son esprit alors qu’il quittait l’appartement. Il était incapable de discerner s’il devait y lire une invitation, une complicité ou un avertissement. Quoi qu’il en soit, il se sentait enivré par ce mystère, poussé par une force irrésistible vers ce rendez-vous énigmatique.
L’adresse indiquée le mena au nord du département, vers une région où les paysages se faisaient plus verdoyants et les demeures plus espacées. Lorsqu’il arriva à l’entrée d’un parc, un grand portail en fer forgé s’ouvrit sur une allée bordée de discrètes bornes solaires et d’arbres centenaires. Un panneau posé à côté du chemin annonçait « Le Chat qui Guette – Salle de réception ».
La demeure qui se dressait au bout de l’allée était impressionnante, un mélange harmonieux d’architecture traditionnelle et de touches modernes. Mais ce qui frappa Alexandre, c’était le silence et l’absence totale de vie autour de la bâtisse. Le parking, désespérément vide, le fit douter un instant : était-il vraiment attendu ce jour-là ? Avait-il mal lu la date ou confondu l’adresse ?
Ses questions furent interrompues par l’apparition d’une femme sur le perron. Elle descendit les marches d’un pas assuré, un sourire accueillant dessiné sur ses lèvres.
– Monsieur Alexandre, je présume ? Bienvenue au Chat qui Guette. Je suis la propriétaire du domaine.
Surpris d’être attendu malgré l’absence de tout autre invité, il se laissa guider à l’intérieur. La demeure était encore plus somptueuse de l’intérieur, décorée avec goût, mélangeant l’ancien et le contemporain. Mais l’élégance des lieux ne suffisait pas à apaiser son inquiétude grandissante. Pourquoi avait-il été convié ici, dans cette somptueuse demeure, et surtout, pourquoi semblait-il être le seul invité ?
La propriétaire le conduisit vers une grande salle donnant sur un jardin d’hiver, où une table était dressée pour deux personnes.
– Veuillez patienter ici, votre hôte ne va pas tarder, lui dit-elle avant de disparaître, le laissant seul avec ses interrogations.
L’atmosphère paisible du lieu contrastait fortement avec le tumulte de ses pensées. Qui l’avait invité dans ce lieu hors du temps ? Et pourquoi lui, spécifiquement ? Les souvenirs de son passé, de ses relations, continuaient de tournoyer dans son esprit, chacun porteur d’une question sans réponse.
Assis face au jardin d’hiver, Alexandre ne put s’empêcher de contempler la beauté tranquille du paysage, un havre de paix qui semblait si loin de l’agitation de la ville. Mais cette sérénité apparente ne faisait qu’accentuer son sentiment d’inquiétude. Que lui réservait cette rencontre mystérieuse ?
L’arrivée d’Isabelle transforma l’atmosphère chargée d’incertitude d’Alexandre en un mélange d’excitation et de bonheur inattendu. Sa présence était comme un rayon de soleil perçant les nuages de doutes qui l’avaient accompagné jusqu’ici. Isabelle, avec sa silhouette élancée, sa blondeur éclatante et son élégance naturelle, était une vision qui le frappa avec la force d’un souvenir longtemps chéri, mais jamais réalisé. Malgré les années et les expériences, il se sentait soudainement revenu à ces moments où il avait rêvé de la conquérir, une quête qui était restée inachevée.
– Alexandre, quel plaisir de te voir après tant d’années, dit Isabelle avec un sourire.
Ses yeux enjôleurs lui firent oublier l’instant d’incertitude qu’il avait ressenti. Sa voix avait ce timbre mélodieux qu’il n’avait jamais oublié, un son qui réveillait en lui des émotions qu’il pensait appartenir au passé. Une voix qu’il aurait tant aimé entendre chuchoter à ses oreilles, un timbre qu’il avait tellement imaginé gémir au rythme régulier de moments charnels…
Elle l’invita à la suivre vers le cœur de la grande salle, où une petite table ovale était dressée avec soin. La décoration était raffinée, chaque détail choisi pour créer une atmosphère intime et chaleureuse. « Manquent plus qu’un chandelier et des bougies », suggéra Alexandre en lui-même.
Deux couverts reposaient à chaque bout de la table, promettant un dîner en tête à tête qui semblait tout droit sorti d’un rêve pour l’invité.
S’asseyant face à Isabelle, il ne pouvait s’empêcher de se réjouir de ce moment.
– Isabelle, je ne m’attendais pas à te voir aujourd’hui, c’est une merveilleuse surprise, avoua-t-il, son cœur battant la chamade.
L’excitation d’un adolescent le saisit, un sentiment qu’il n’avait pas ressenti depuis des années. La présence d’Isabelle transformait ce dîner en un événement dont il savait déjà qu’il marquerait un tournant dans sa vie.
À peine installés, Isabelle fit signe à une serveuse qui leur apporta deux coupes de Champagne. La jeune femme, dont la tenue légère contrastait avec la fraîcheur de la saison, attira malgré lui le regard d’Alexandre. C’était un moment de distraction, un écart fugace qui n’échappa pas à l’œil observateur d’Isabelle. Mais elle ne laissa rien paraître, se concentrant sur la surprise qu’elle avait préparée pour Alexandre.
Avec un sourire malicieux, Isabelle sortit de son grand sac à main deux dépliants cartonnés, élégamment décorés de noir et de rose. « Menu du Jour », pouvait-on lire sur la couverture. Alexandre, intrigué, s’approcha pour mieux voir. Lorsqu’il déplia le menu, son expression passa de la curiosité à la surprise, puis à une sorte d’excitation teintée d’appréhension. Le «menu» en question proposait une expérience pour le moins inhabituelle.
Dans la nuit noire, je te propose
Un festin secret, tout en osmose.
En simple appareil, sans fard ni voile,
Viens goûter à ce repas ; une étrange escale.
Entrée:
Dans l’obscurité, commence par toucher
Des textures surprenantes, à deviner.
Une symphonie de saveurs en velours
Mystère enveloppé, révélé tour à tour.
Plat principal:
Ensuite, en plein noir, un plat t’attend
Sa nature inconnue, à découvrir lentement.
Sous tes doigts, les ingrédients dansent
Un jeu de devinettes, une réelle chance.
Dessert:
Pour finir, un doux secret à l’oreille
Un dessert caché, pour moi une merveille.
Dans le silence et l’ombre, tu pourras savourer
L’invisible délice, enfin dévoilé.
– De quoi ? Demanda Alexandre. Tu me proposes un repas dans l’obscurité, et plus surprenant encore, à poil ?
– C’est ce jeu excitant que je nous propose, répondit dit Isabelle, ses yeux pétillants de malice. Une expérience sensorielle unique, où le goût et le toucher sont à l’honneur, libérés de toutes les distractions visuelles… et vestimentaires…
– Huuumm… Je ne m’attendais pas à ça, avec toi ! Quel superbe scénario me proposes-tu là !
Alexandre, un brin décontenancé mais visiblement excité, intrigué, ne put s’empêcher de sourire à l’idée. La proposition d’Isabelle était audacieuse, certes, mais elle ne manquait pas de charme. C’était le genre d’aventure qui, dans le passé, aurait pu le faire fuir. Pourtant, aujourd’hui, face à cette superbe femme longtemps désirée, il se sentait prêt à embrasser l’inconnu, à se laisser guider par la curiosité et le désir de redécouvrir des sensations oubliées.
Le Champagne aidant, les premières réserves d’Alexandre s’estompèrent rapidement. Leur conversation, déjà animée par les retrouvailles et les souvenirs partagés, prit un tour plus intime et espiègle à mesure qu’ils discutaient des détails de ce repas hors du commun. La présence d’Isabelle transformait ce déjeuner en un événement dont il savait déjà qu’il marquerait un tournant dans sa vie, une aventure qui promettait de réveiller des sens endormis et d’explorer des territoires inconnus de leur complicité naissante.
La révélation du contenu du « menu » par Isabelle plongea Alexandre dans un état de stupéfaction mêlé d’émerveillement. La proposition était audacieuse, dépassant de loin tout ce qu’il aurait pu imaginer pour ces retrouvailles. Leur conversation, déjà teintée de confidences et de rires, prit un tournant plus profond alors qu’ils abordaient le sujet de cette expérience unique.
– Isabelle, c’est… incroyablement intriguant, commença t’il, cherchant ses mots avec soin. Je dois avouer que je n’ai jamais rien expérimenté de tel. Se dévêtir et dîner dans l’obscurité totale ? C’est une aventure qui promet d’être mémorable.
Capturant son regard avec intensité, elle répondit :
– Je savais que cela te surprendrait. Mais imagine les sensations ! Sans la vue, nos autres sens sont amplifiés. Toucher, goûter, sentir… Ce repas est une invitation à redécouvrir la nourriture, et peut-être même un peu plus, dans un cadre où les apparences sont mises de côté.
L’appréhension initiale d’Alexandre se mua progressivement en curiosité.
– Et si je découvre que je n’aime pas ce que je mange, sans pouvoir le voir ? demanda-t-il, un sourire en coin, cherchant à alléger l’atmosphère.
– Alors, ce sera une partie du jeu, répliqua Isabelle avec un sourire complice. Chaque bouchée sera une surprise, une exploration. Et je serai là, à tes côtés, pour partager chaque découverte, chaque étonnement.
La perspective de partager une telle intimité avec cette femme, dans un cadre aussi inhabituel, excitait Alexandre tout en le mettant légèrement mal à l’aise.
– Je dois dire que l’idée de me retrouver nu, dans l’obscurité, avec toi… C’est à la fois intimidant et incroyablement attirant, excitant.
– C’est exactement ce que je cherchais à provoquer, admit t’elle, sa main frôlant la sienne. Une expérience qui nous sort de notre zone de confort, qui nous permet de vivre l’instant présent de la manière la plus pure.
Le dialogue entre Alexandre et Isabelle révélait non seulement leur désir de se reconnecter après toutes ces années, mais aussi leur volonté d’embrasser ensemble l’inconnu. Cette expérience, aussi déroutante soit-elle, leur offrait l’opportunité de tisser de nouveaux liens, de se redécouvrir dans un cadre dépourvu de tout artifice, où seuls comptaient le goût, le toucher, et les émotions partagées.
Alors que le Champagne pétillait dans leurs coupes, Il se sentit soudainement prêt à plonger dans cette aventure aux côtés d’Isabelle. L’anticipation de ce repas, servi dans l’obscurité et la nudité, promettait une soirée inoubliable, un voyage sensoriel auquel il était désormais impatient de se soumettre.
Lorsque la serveuse apporta les deux corbeilles en osier, elle déposa également à côté de chacun des convives un guéridon roulant. Sur chaque guéridon, un repas complet était prêt, soigneusement dissimulé sous une cloche argentée pour conserver la chaleur des plats. Ce dispositif astucieux permettait de s’assurer que le repas ne refroidirait pas et que la serveuse n’aurait pas besoin de revenir interrompre leur intimité.
Avec un sourire entendu, la serveuse leur souhaita un excellent dîner et se retira, éteignant les lumières derrière elle.
– Ah parce que vous ne faites pas partie du dîner ? demanda audacieusement Alexandre. Pour le dessert, peut-être… poursuivit-il dans un clin d’œil.
– C’est possible, oui, monsieur Alexandre. Si vous poursuivez sur ce terrain-là, oui, effectivement, il se pourrait que je sois là au moment du dessert…
Visiblement gênée, Isabelle s’efforça de ne pas réagir.
L’obscurité qui les enveloppa était totale, un voile d’encre qui effaçait instantanément la distance entre le visible et l’invisible, le connu et l’inconnu.
Dans ce noir absolu, les deux vieux amis prirent quelques instants pour s’acclimater. L’air autour d’eux semblait vibrer d’une énergie nouvelle. Chaque son, chaque mouvement prenant une dimension amplifiée. Alexandre entendit Isabelle respirer doucement à côté de lui, un son rassurant et intimement familier dans l’obscurité enveloppante.
Puis, guidés par le jeu qu’elle avait proposé, ils commencèrent à se déshabiller. Sans le regard de l’autre pour les observer, le geste de retirer leurs vêtements se transforma en une danse de sensations, chaque frôlement de tissu, chaque souffle d’air frais sur leur peau devenant une découverte. La gêne initiale s’estompa rapidement, remplacée par une curiosité et une excitation à l’idée de ce repas hors du commun qui les attendait.
Une fois nus, ils se guidèrent mutuellement vers leurs sièges, leurs mains se cherchant et se trouvant dans l’obscurité, une connexion tactile qui remplaçait le lien visuel perdu. Assis en face l’un de l’autre, séparés par la table près de laquelle reposaient les guéridons avec leurs plats encore secrets, ils prirent un moment pour s’immerger pleinement dans l’expérience.
– C’est incroyable, n’est-ce pas ? murmura Alexandre, sa voix prenant une qualité presque tangible dans le noir.
Il chuchota cette simple remarque pour lui-même : pour tenter d’oublier un début d’érection.
– Oui, tout à fait, répondit Isabelle, sa voix chargée d’un mélange de suspense et de plaisir. Prêt pour notre premier plat ?
Ensemble, ils levèrent les cloches de leurs guéridons, les arômes des plats s’élevant vers eux, riches et prometteurs. Sans la vue pour les guider, ils devaient se fier à leurs autres sens pour explorer le repas qui leur était proposé. Chaque bouchée était une aventure, chaque saveur, une surprise à déchiffrer.
Dans l’obscurité totale, ils se lancèrent dans un dialogue, leurs voix se mêlant à la symphonie des sensations inédites qu’ils expérimentaient.
– Isabelle, commença t’il, sa curiosité piquée au vif par le mystère de ces années perdues. Ça fait près de 30 ans… Qu’est-ce que tu es devenue pendant tout ce temps ?
Il y avait une véritable soif de savoir dans sa question, un désir de rattraper le temps perdu, de combler les blancs laissés par les années. Il se souvint tout à coup qu’il lui semblait ne pas avoir passé un seul mois sans penser à elle. Combien de fois il l’avait imaginée jouir, le visage déformé par le plaisir, alors même que c’était Myriam qu’il avait face à lui.
Isabelle prit une pause, comme si elle cherchait par où commencer.
– Oh, Alexandre, tant de vies en une seule, je suppose, répondit-elle enfin, sa voix empreinte de nostalgie et de sagesse. J’ai connu beaucoup d’hommes, mais aucun m’ayant donné réellement l’envie d’avoir un enfant. Puis à quarante-et-un ans, je me suis posée. Je me suis donc mariée, et je suis finalement devenue heureuse. Et il est tombé malade, jusqu’à finalement mourir il y a deux ans. Aussi, j’ai voyagé, beaucoup. Mon travail d’interprète m’a permis de travailler dans différents pays, j’y ai rencontré des gens incroyables. J’ai aussi eu ma part de défis, bien sûr, mais chaque expérience m’a façonnée, m’a apprise quelque chose. Et toi ? Qu’as-tu fait de toutes ces années ?
La question, bien que posée doucement, semblait suspendre dans l’air, attendre avec impatience la révélation des chapitres de la vie d’Alexandre qu’Isabelle s’empressait de lire.
Cependant, il se retrouva soudainement hésitant. Un flot de souvenirs lui traversa l’esprit, certains lumineux et pleins de joie, d’autres plus sombres et plus compliqués.
– Eh bien, j’ai… Sa voix s’éteignit, comme si les mots refusaient de franchir le seuil de ses lèvres. J’ai vécu, Isabelle. Comme tout le monde, j’imagine. Il y a eu des hauts et des bas.
Elle sentit le changement dans la voix, une certaine réticence, presque comme s’il se retranchait derrière un voile de mystère.
– Alexandre, tu es toujours aussi énigmatique, je vois. Mais j’espère que, parmi ces hauts et ces bas, il y a eu plus de moments heureux que de tristes.
Il y eut un silence, un espace où les non-dits semblaient flotter entre eux. Il se sentait partagé entre le désir de s’ouvrir à Isabelle et la peur de dévoiler les parties moins reluisantes de son passé.
– Disons simplement que la vie m’a appris beaucoup. Et je suis ici, maintenant, avec toi, cherchant à découvrir de nouvelles expériences, à apprendre encore.
Le dialogue, bien que marqué par l’évitement d’Alexandre, créa un lien entre eux, un fil tissé non seulement de souvenirs partagés, mais aussi de mystères non résolus. Dans l’obscurité, entourés des saveurs et des textures de leur repas insolite, ils se trouvaient à la croisée des chemins de leurs vies, explorant le terrain connu et inconnu de leur relation renaissante.
Dans l’obscurité enveloppante, un silence contemplatif s’installa entre les deux convives, chacun absorbé par ses pensées et les révélations partielles qui venaient de se faire jour. Isabelle, respectant la réticence de son invité à s’ouvrir pleinement, décida de ne pas pousser davantage. Elle comprenait que le temps et la confiance seraient nécessaires pour dévoiler les couches de leur passé.
Changeant de sujet pour alléger l’atmosphère, Elle évoqua alors une anecdote amusante de ses voyages, une histoire captivante sur une rencontre inattendue dans une petite ville près de Naples, qui fit sourire Alexandre. Leur conversation prit un tournant plus léger, naviguant entre souvenirs joyeux, anecdotes de voyages et observations sur les changements du monde autour d’eux.
– Sais-tu, dit-elle avec un rire doux, malgré toutes ces années, malgré tout ce qui a changé, je trouve incroyable que nous puissions encore nous retrouver ici, partageant un moment si unique. Cela me fait penser que certaines connexions, certains liens ne se perdent jamais vraiment.
Touché par ses mots, il acquiesça :
– Oui, c’est assez remarquable. Et je dois dire que cette expérience… c’est quelque chose que je n’aurais jamais imaginé vivre. Mais je suis reconnaissant de la partager avec toi.
Leur repas se poursuivit, chaque plat exploré dans le noir complet devenant une occasion de rire, de deviner, et parfois de s’émerveiller ensemble. L’obscurité leur permit de se concentrer pleinement sur l’expérience sensorielle, mais aussi, d’une certaine manière, de se voir l’un l’autre sans les distractions visuelles habituelles, de se rencontrer à nouveau sur un terrain émotionnellement neutre. Alexandre n’avait toutefois pas réussi à calmer son érection, allant régulièrement jusqu’à se caresser en imaginant Isabelle face à lui, dans sa plus belle nudité, elle aussi se glissant peut-être une main entre les cuisses en l’écoutant…
Finalement, alors que le dessert fut terminé et que le silence confortable s’installait de nouveau entre eux, il trouva le courage de dire :
– Isabelle, merci. Pour ce soir, pour l’invitation à plonger dans l’inconnu avec toi. Peut-être que je n’ai pas été très loquace sur mon passé, mais sache que ce moment avec toi, c’est un souvenir que je chérirai.
Elle lui prit la main dans le noir, un geste de compréhension et de connexion :
– Alexandre, nous avons tous nos jardins secrets, nos histoires non dites. Ce qui compte, c’est que nous sommes ici, maintenant. Et qui sait ? Peut-être que ce soir sera le début d’une nouvelle histoire pour nous deux.
– Il y a des chambres à louer, ici, d’après toi ?
Pour toute réponse, Isabelle se contenta de toussoter en se raclant la gorge.
Dans le noir, guidés par le toucher et le son de leurs voix, ils se rapprochèrent, partageant un moment de complicité et d’intimité renouvelée. Alexandre lui fit une caresse sur la joue et descendit sa main sur son épaule nue, puis un sein dont le téton pointait droit vers lui. Il sentit un léger geste de recul et retira sa main dont il en lécha les doigts. Son érection était à son comble, craignant même exploser sous la table. La nuit noire autour d’eux semblait moins un voile d’obscurité que le cadre d’un nouveau départ, une toile de fond pour explorer les possibilités infinies que l’avenir, même le plus immédiat, pouvait leur réserver.
Après un moment de silence, où l’air semblait chargé d’une anticipation inexprimée, Isabelle prit une profonde inspiration. La chaleur de leur échange précédent flottait encore entre eux, mais elle savait qu’il était temps d’aborder un sujet plus délicat.
– Alexandre, commença-t-elle, sa voix trahissant une légère hésitation. Il y a quelque chose que je dois te dire. Pendant toutes ces années, il y a eu un aspect de toi… que j’ai trouvé difficile à accepter, à supporter.
Elle marqua une pause, cherchant ses mots dans l’obscurité qui les enveloppait.
Alexandre sentit son cœur se serrer, un pressentiment naissant au creux de son estomac.
– Oh ? Et de quoi s’agit-il ?
Sa voix était teintée d’une défensive involontaire, un réflexe face à l’inconnu qui s’annonçait.
– Tu sais, Alexandre, tu as toujours eu ce… comportement de dragueur, ce qui en soi n’est pas un problème. Mais parfois, tes remarques étaient… disons, moins que respectueuses. Plutôt désobligeantes, en fait. Voire violentes, parfois.
Isabelle posa ses mots avec soin, consciente de la sensibilité du sujet.
La réaction d’Alexandre fut immédiate, un mélange de surprise et de malaise. L’érection qui ne l’avait pas quittée du repas, devenant presque douloureuse, retomba soudainement.
– Isabelle, je… je ne pensais pas que…
Il se trouva à court de mots, le souvenir de certaines de ses attitudes passées lui revenant avec une clarté évidente.
– Je sais que cela fait partie du passé, et je vois bien l’homme que tu es devenu, poursuivit-elle, sa voix douce mais ferme. Mais c’est important pour moi d’en parler. Nous vivons dans un monde où la conscience de ces comportements évolue, et je crois qu’il est essentiel d’affronter ces aspects de nous-mêmes. Regarde comment tu t’es comporté à l’égard de la serveuse ! Est-ce normal d’après toi ?
– La serveuse ? Oh ! Rien de méchant. Mais tu as vu comment elle est habillée, aussi ? Si ce n’est pas de la provocation, c’est quoi d’autre ?
– Tu n’as pas le sentiment qu’elle a simplement le droit de s’habiller comme elle veut, juste pour se plaire à elle-même ?
L’inconfort d’Alexandre était palpable, même dans l’obscurité. L’idée qu’il avait pu blesser ou offenser Isabelle ou d’autres femmes par ses attitudes passées lui était encore inaudible.
– Isabelle, je suis sincèrement désolé. Je ne me rendais pas compte à l’époque… Mais cela n’excuse rien. J’ai beaucoup appris depuis, et je regrette profondément mes comportements.
– Tu as beaucoup appris ? Tu oublies cette pauvre serveuse ???
Elle soupira tout en acquiesçant d’un léger mouvement de tête.
– Alexandre, t’entendre dire que « tu as beaucoup appris » signifie énormément pour moi. Nous avons tous un chemin à parcourir, des leçons à apprendre. Ce qui compte, c’est que nous sommes capables de grandir, de changer. Mais tu n’as rien prouvé de tout ça avec cette pauvre jeune fille.
Leur conversation prit alors un tournant plus introspectif, chaque mot prononcé dans l’obscurité ajoutant une couche de compréhension et de réconciliation avec le passé. Pour Alexandre, bien que le sujet fût difficile, il lui semblait ouvrir une voie vers une connexion plus profonde et authentique entre eux, une possibilité de redéfinir leur relation sur des bases de respect mutuel et de conscience.
Dans l’obscurité qui les enveloppait, un silence lourd s’était toutefois installé après les mots d’Isabelle. Il sentait une tension monter, une appréhension face à ce qui allait suivre.
– Alexandre, il y a plus, continua t-elle, sa voix prenant un ton plus grave, presque accusateur. Ton comportement n’a pas seulement été un sujet de préoccupation pour moi. Il y a eu des plaintes, des femmes dans ton entreprise, tes collaboratrices… Elles ont parlé.
– Je sais bien ! Mais classées sans suite ! Pas de preuve, pas de fait ! J’ai pu prendre conscience de ma situation avec toutes ces salopes du conseil d’administration de mon entreprise, quand elles ont choisi de m’écarter, mon nom semblant faire honte aux plus coincés ! Même l’autre connard de Dupuis, penses-tu qu’il m’aurait soutenu ? Non, il a préféré m’accuser de le harceler et même de mettre son cancer sur le dos du stress à cause de moi !
– Tu parles de Jérôme Dupuis ?
– Oui ! Tu connais cette lavette ?
Isabelle sentit une boule se nouer dans sa poitrine.
Alexandre sentit son cœur s’alourdir, une boule de stress se formant dans son estomac.
– Oui, il y a eu des plaintes, coupa Isabelle. Pas mal, même ! Ton attitude envers les femmes, en général, a été plus que problématique. Il ne s’agissait pas d’une habitude liée à une époque, mais bien d’un comportement répréhensible. Toi, pourtant si à cheval sur les lois…
Il cherchait ses mots, tentant de rassembler ses pensées dans le noir.
– Je… je ne savais pas. Ou peut-être que je ne voulais pas voir. Isabelle, je suis désolé, vraiment. Mais c’est du passé. Je n’ai violé personne. Pourtant, certaines en rêvaient, j’en suis certain !
– Tu es immonde.
– Attends… quand l’autre négresse arrivait avec son petit tailleur qui lui moulait le cul, tu ne vas pas me dire que c’était un hasard ! Et quand on voyait le haut de sa culotte à la ceinture de ses pantalons, je suis certain qu’elle rêvait que je lui arrache avec les dents !
– Stop. Je ne peux pas en entendre plus. Et juste avant, tu disais « regretter », Alexandre. Mais ce n’est pas seulement une question de regret. C’est une question de responsabilité. Tu as été dans une position de pouvoir, et tu as abusé de ce pouvoir. Tu dois comprendre la gravité de tes actions, insista Isabelle.
– Mes actions ? Mais il n’y a pas d’action ! Juste des mains qui leur frôlaient le cul devant leurs collègues avec une petite langue qui simulait un cuni ! Ce n’est pas une action, juste une petite blague potache ! De l’humour !
Le silence qui suivit fut palpable. Alexandre se sentait malgré tout accablé, minimisant pourtant l’ampleur des conséquences de ses comportements passés. La soirée, qui avait commencé comme une aventure excitante et un peu nostalgique, prenait désormais un tournant qu’il n’avait pas anticipé.
– Isabelle, je… je commence à comprendre que cette soirée ne va pas se terminer comme je l’avais imaginé, admit-il, sa voix teintée d’une vulnérabilité nouvelle.
– Alexandre, cette soirée n’était pas juste une retrouvaille. C’était aussi une confrontation nécessaire. Je voulais que tu entendes, de la part de quelqu’un qui t’a connu et qui t’a apprécié en tant que professionnel, que ton comportement personnel a eu des répercussions réelles sur la vie des femmes autour de toi.
Isabelle eut un ton emprunt d’une fermeté emplie de compassion.
– Je vois…
La voix d’Alexandre était faible, marquée par la prise de conscience.
– Isabelle, je… que puis-je faire ? Comment puis-je… réparer ?
– Alexandre, le chemin vers la réparation est long et personnel. Il commence par reconnaître tes torts, comprendre l’impact de tes actions, et ensuite, chercher à faire amende honorable, à changer. C’est un processus, mon cher, pas un simple acte de contrition.
Leur conversation se poursuivit, un dialogue profond et difficile, mais nécessaire. Pour Alexandre, ça allait être le début d’un long voyage de remise en question et de changement. Pour elle, c’était l’espoir qu’en affrontant son passé, Alexandre pourrait trouver un chemin vers une meilleure version de lui-même. Mais surtout, elle allait pouvoir approcher une maigre consolation en mémoire de Jérôme, condamné au silence face à un supérieur répugnant et odieux avec tous ses collaborateurs.
Alexandre, complètement absorbé par la gravité de la conversation, avait oublié sa situation de vulnérabilité physique pour se concentrer sur sa vulnérabilité émotionnelle et morale. Les mots d’Isabelle résonnaient en lui, déclenchant un début de prise de conscience.
– Depuis l’émergence de mouvements comme #MeToo et #BalancetonPorc, j’ai… j’ai repensé à mon comportement, admit-il, la voix ébranlée. J’ai tenté de me convaincre que ce n’était pas si grave, que je n’avais franchi aucune ligne majeure. Mais, en t’entendant, je réalise que ma façon de dédramatiser, c’était peut-être une façon d’éviter de faire face à ma réalité.
Isabelle écoutait attentivement, mesurant l’impact de ses paroles sur son invité.
– C’est un premier pas, de reconnaître cela. Les justifications que nous nous donnons pour minimiser nos actions… elles ne font qu’empêcher la guérison et la compréhension.
– Je… Je vois maintenant que même si dans mon esprit, je n’ai pas commis le pire, il y a des comportements que j’ai eus qui étaient loin d’être consentis comme je me l’étais imaginé. J’ai ignoré les signaux, les non-dits, parce que ça m’arrangeait, continua Alexandre, sa voix tremblante de réalisation. Isabelle, je suis désolé, non seulement pour ce que j’ai pu te faire ressentir à l’époque, mais aussi pour toutes les autres que j’ai pu blesser par mon ignorance et mon égoïsme.
Il y avait dans ses mots un début de remise en question, une ouverture vers une introspection plus profonde. Isabelle, tout en reconnaissant l’importance de cette prise de conscience, savait que le chemin de la rédemption serait long et difficile.
– Alexandre, s’excuser est une étape, mais le véritable travail est devant toi. Quand je t’entends me parler de ton « ignorance et ton égoïsme », tu sembles très loin du travail qui t’attend. Il s’agit maintenant d’apprendre, de comprendre et de changer véritablement ton comportement. Ce n’est que par des actions concrètes et une volonté de changement que tu pourras commencer à réparer ce qui a été brisé.
Dans l’interlude silencieux qui s’ensuivit, Alexandre se trouva plongé dans un face-à-face introspectif, mesurant pleinement l’écho de sa révélation personnelle. La soirée, esquissée dans les teintes de la reconnexion et de l’évasion, se muait en un instant de vérité crue, un pivot essentiel dans le cours de son existence. Pour la première fois depuis une éternité, il se découvrit prêt à embrasser ses fautes, à prêter une oreille attentive et à s’enrichir de ses leçons. Isabelle, avec sa sincérité et son audace, lui avait tendu un présent incommensurable : la chance de se réinventer. La pression s’atténua sensiblement lorsque Alexandre lui fit la promesse de se métamorphoser, envisageant même d’entreprendre un chemin de réflexion accompagné par un thérapeute.
Malgré le virage inattendu que la soirée avait pris, Alexandre n’en avait pas moins perdu de vue l’éclat avec lequel elle avait débuté : la perspective d’une nuit enflammée avec Isabelle, objet de ses désirs inassouvis depuis tant d’années…
Isabelle s’excusa brièvement, sa voix se dissipant dans l’obscurité alors qu’elle se dirigeait vers les WC. Alexandre resta seul, immergé dans ses pensées et la récente prise de conscience de la gravité de ses actes passés. L’obscurité semblait maintenant moins oppressante, plus comme un cocon propice à la réflexion. Puis il repensa à cette promesse sous-jacente : tomber dans les bras d’Isabelle.
Lorsqu’elle revint, Alexandre perçut, sans vraiment s’en rendre compte, le léger bruissement de vêtements et le mouvement discret indiquant qu’elle faisait de la place sur la table. Alors, dans des baffles certainement dissimulés derrière le tissus mural de la pièce, une trompette haut perché commença à envelopper la pièce : l’ouverture de la Symphonie n°5 de Mahler. Une atmosphère d’une intensité émotionnelle plus que palpable. Ce choix musical, à la fois puissant et introspectif, ajoutait une couche supplémentaire de profondeur à l’instant déjà chargé de signification. Puis, le craquement d’une allumette révéla brièvement le visage concentré d’Isabelle illuminant un petit gâteau d’anniversaire posé sur la table. Sous cette lumière éphémère, les notes de Mahler semblaient danser autour d’eux, tandis que deux bougies, un 8 et un 2, s’éclairèrent doucement sous la flamme, leur lueur se mêlant à la musique pour créer un moment d’une beauté saisissante.
Étonné, Alexandre s’exclama :
– Je n’ai pas 82 ans, Isabelle ! Attends encore un peu !
Mais alors qu’il parlait, il remarqua, presque comme une révélation, qu’Isabelle avait revêtue son chemisier, contrairement à lui. Même dans la pénombre, celui-ci tranchait avec la nudité qu’ils avaient assumée tout au long de leur repas dans l’obscurité.
« Elle a dû avoir un peu froid », se rassura Alexandre.
Isabelle sourit doucement, la lueur des bougies dansant dans ses yeux.
– Oh, Alexandre, ce n’est pas pour ton anniversaire. C’est symbolique. Le 2 et le 8, ensemble, ils représentent l’infini, debout. C’est un nouveau départ, une promesse de continuité et de changement.
Toujours nu, Alexandre se sentit soudainement exposé de manière inattendue, non pas par sa nudité, mais par la mise en scène d’Isabelle, soulignant le contraste entre leur état et la gravité du moment.
– Isabelle, pourquoi… pourquoi es-tu habillée tout à coup ? demanda-t-il, sa confusion se mêlant à une pointe d’embarras.
– Alexandre, cette soirée était une expérience, une leçon. La nudité, l’obscurité, c’était pour te montrer que, peu importe combien nous nous dévoilons, il y a toujours des couches, des secrets, des vérités à révéler. Se rhabiller, pour moi, c’était marquer la fin de cette partie de notre soirée, un pas vers la lumière, vers la révélation. Et ce gâteau, c’est pour célébrer le chemin que tu as devant toi, le courage de changer, de grandir.
Le geste d’Isabelle, bien que déroutant au premier abord pour, portait en lui une profondeur et une symbolique qui touchèrent le cœur d’Alexandre. La lumière vacillante des bougies éclairait non seulement le gâteau mais aussi un chemin nouveau vers une transformation.
– J’aimerais que tu me fasses confiance, lui dit-elle, douce mais déterminée. Prends ta serviette et noue-la autour de tes yeux.
Amusé par la demande, Alexandre hésita un instant avant de s’exécuter, ressentant une excitation accrue à l’idée de se laisser guider par Isabelle. Les yeux bandés, il perçut l’obscurité encore plus intensément, chaque bruit et chaque mouvement autour de lui prenant une signification nouvelle. Il n’était plus qu’attente et anticipation, ses sens exacerbés.
– Maintenant, avance de quelques pas et arrête-toi, murmura-t-elle, sa voix caressant l’air avec une douceur troublante.
Il obéit, avançant prudemment dans la pénombre. La chaleur de la pièce et l’atmosphère intime exacerbèrent son désir, et il ne put réprimer un sourire, sentant que cette soirée réservait encore des surprises.
– Les chiffres que tu vois sur le gâteau, le 2 et le 8, n’ont rien de hasardeux, reprit-elle, une note mystérieuse dans la voix. C’est un symbole.
Il resta immobile, le souffle court, son esprit à la dérive entre le jeu et l’attente, convaincu que le meilleur était encore à venir. Mais lorsqu’elle l’autorisa enfin à retirer la serviette de ses yeux, la vision qui l’attendait n’était pas celle qu’il espérait.
Devant lui, à la place d’Isabelle, se tenait Myriam, le visage impassible, entourée de figures féminines émergeant de l’ombre, des visages du passé qu’il reconnut aussitôt.
Isabelle, elle, se tenait au centre. Elle tenait entre ses mains un portrait de mariage d’elle et de Jérôme Dupuis…
FIN.
Certificat de dépôt horodaté
N°D53250-18305
Oh! Très beau sujet qui ne peu que me toucher. Et je suis particulièrement touchée parce que c’est écrit par un homme. Bravo monsieur
Merci à vous pour votre commentaire. N’hésitez pas à revenir pour d’autres sujets!
C’est bien d’aborder ce sujet en temps qu’homme. Est ce que ça vous a aider à réfléchir à la position des femmes, celle des hommes en écrivant ça ?
Merci Sebastien pour ce commentaire! Oui, effectivement, écrire sur ce sujet m’a forcément amené à réfléchir. Je ne suis pas ici pour évoquer ma vie privée, mais l’écriture sur un tel sujet amène forcément à se mettre « à la place de l’autre », mais aussi à repenser à ses propres comportements, ses gestes ou ses propres mots pas toujours adroits… Mais paradoxalement, c’est une histoire qui m’a été assez facile à écrire, contrairement à d’autres, plus simples en apparence, qui m’ont demandé beaucoup plus d’efforts, de rélexions!
Merci en tous cas pour cette participation!