Il m’arrive parfois, entre deux bâillements d’avant-sommeil, de penser au petit morveux que j’étais, il y a quelques décennies… allez, cinquante ans, si on est honnête. Voilà qu’il débarque dans mes rêves, l’air interrogateur et le cheveu en bataille, me demandant, comme si j’étais un sage de conte de fées : « Alors, c’est comment d’être grand ? »
Et là, je suis bien emmerdé. Pas envie de casser son rêve de futur super-héros en lui racontant mes soirées à faire des courses en ligne ou à râler contre le prix du carburant… Ni de lui expliquer que les fameuses responsabilités d’adulte, ça veut aussi dire vérifier si la machine à laver a bien fini son cycle ou se réjouir de trouver une promo sur le café. Allez, pas la peine de l’effrayer avec ça. Je prends l’option diplomatique et décide de lui garder la surprise.
Du coup, pour détourner l’attention, je lui demande avec un sourire malin : « Et si, plutôt, tu m’emmènerais faire un tour dans ton monde ? » Histoire de me replonger dans ses rêves un peu fous, ses inventions farfelues et ses jeux sans fin. Parce que franchement, ça fait bien longtemps que je n’ai pas combattu de dragons imaginaires ou traversé des jungles pleines de crocodiles invisibles.
Il m’embarque alors dans une cavalcade surréaliste où on réinvente les règles – pas de réveil, pas d’école ou de factures, et encore moins de rendez-vous chez le garagiste. On s’en donne à cœur joie, tous les deux, à refaire le monde, avec un enthousiasme délirant et sans se préoccuper de savoir si le monde, lui, est prêt à nous suivre. On va se coucher tard, on mange du nougat après le brossage de dents, et on se fiche royalement de savoir si on a mis le même type de chaussettes – qui, après tout, s’intéresse vraiment à ces détails ?
Mais voilà, le réveil me rappelle vite à l’ordre, en me soufflant, l’air de rien, que j’ai un peu vieilli et qu’il faut peut-être penser à me lever. Alors, dans un dernier sursaut de fantaisie, je lui glisse un clin d’œil : « À bientôt, petit ! Garde-moi une place dans tes rêves, ça pourrait bien me servir pour supporter le monde des grands. »
Et en attendant notre prochain rendez-vous nocturne, je continue ma journée, admirant mes chaussettes dépareillées, un petit sourire en coin, avec cette pensée rassurante : il est toujours là, je crois, ce gamin, quelque part dans un coin de ma tête, prêt à surgir à tout moment pour me rappeler que la vie, même adulte, peut encore réserver quelques bonnes parties de chasse aux cons, qui ont remplacé les dragons de mon enfance..