©Christophe Grégoire 2024
Certificat de dépôt horodaté
N°D53251-18305
Je me réveillai, le crâne assailli par une douleur qui semblait vouloir me broyer l’esprit, évoquant l’impression d’avoir été écrasé sous un rouleau-compresseur dans mon sommeil. Une lueur diffuse, à peine perceptible à travers mes paupières scellées, suggérait que le jour était levé. Pourtant, la simple idée de les ouvrir m’apparaissait comme une montagne insurmontable. Mon corps tout entier se rebiffait, chaque muscle, chaque articulation criant sa détresse.
Je tentai de me remémorer la raison de mon état, de retracer mes pas jusqu’à ce lit, mais mes pensées s’embrouillaient, se heurtant à un mur de brouillard. Avais-je chuté ? Avais-je succombé à une maladie soudaine ? Mon esprit tournait en rond, incapable de saisir une explication logique.
Les sons du monde extérieur me parvenaient étouffés, comme à travers une épaisse couche de coton. Concentré sur ma respiration, j’essayais de rassembler le peu de force qui me restait. Après un moment qui me parut une éternité, je pris la décision d’affronter la réalité, quelle qu’elle soit. Mes paupières, lourdes comme du plomb, se soulevèrent avec peine, laissant s’infiltrer un flot de lumière qui me força aussitôt à les refermer. Ce fut un ballet de tentatives et d’échecs, jusqu’à ce que finalement, mes yeux s’acclimatent à la luminosité de la pièce.
Je me trouvais dans un lieu inconnu, entouré de murs blanc et bleu qui renvoyaient la lumière d’une façon presque aveuglante. Aucun élément ne m’était familier : ni le lit sur lequel je me trouvais, ni la table de nuit à côté de moi, sur laquelle reposait un bouquet de fleurs et une petite lampe. À ma droite, un peu en arrière, un moniteur de surveillance ne laissait pourtant pas vraiment de doute : Des câbles me reliaient à cette machine ; un hôpital, forcément. L’air portait une odeur stérile, étrangement rassurante et inquiétante à la fois.
Mon corps refusait de m’obéir pleinement, chaque mouvement évoquait une douleur sourde qui se propageait en vagues à travers mes membres. Un sentiment d’isolement m’envahit, une solitude profonde et déconcertante. Je me mis à la recherche d’un indice, quelque chose qui pourrait m’expliquer ma présence en ce lieu. Mais rien, à part le silence pesant et le battement de mon propre cœur, ne venait rompre cette énigme.
Peu de temps après, la porte s’ouvrit sur une infirmière, qui, à ma grande surprise, afficha un sourire radieux en me voyant éveillé. Sa présence, soudaine et inattendue, fit naître en moi un flot de questions. Mais avant même que je puisse articuler une pensée cohérente, elle s’exclama :
– Vous êtes réveillé ! Attendez, je vais chercher le médecin.
Ses mots résonnèrent en moi avec une étrangeté déconcertante. Réveillé ? Comme si mon éveil était un événement hors du commun, presque miraculeux ! La porte se referma derrière elle, me laissant seul avec mes pensées embrouillées et une anxiété grandissante. Quel était ce lieu ? Et pourquoi son visage m’était-il si familier, et pourtant si étranger à la fois ?
L’attente du retour de l’infirmière ou du médecin qu’elle avait mentionné fut emplie d’une tension palpable. J’essayais de me préparer à ce qui allait suivre, de rassembler mes souvenirs éparpillés pour faire face à la réalité de ma situation, quelle qu’elle soit. Mais au fond de moi, une question demeurait : qu’est-ce qui m’avait conduit ici ?
Alors que la porte se refermait derrière l’infirmière, me laissant seul avec mes pensées tourbillonnantes, une vague d’évidences me submergea lentement. Ma présence en ce lieu, quel qu’il soit, n’était pas ordinaire. Les mots de l’infirmière, son excitation presque palpable à me voir éveillé, tout cela suggérait que quelque chose d’extraordinaire s’était produit.
Je scrutai la pièce une nouvelle fois, cherchant des indices qui pourraient m’aider à assembler les pièces du puzzle. La blancheur stérile des murs, le lit ajustable dans lequel je reposais, l’équipement médical qui se dressait silencieusement à mon chevet : tous ces éléments pointaient vers une conclusion que je n’avais pas encore osé envisager. J’étais dans un hôpital. Ou une clinique. Mais pour quelle raison ? Avais-je été malade, blessé ?
L’angoisse commença à serpenter en moi, une peur sourde de ce que je pourrais découvrir. Mon esprit, dans un effort désespéré pour trouver un semblant de normalité, se mit à imaginer des scenarii moins menaçants. Peut-être n’était-ce qu’une erreur, une confusion, un malentendu qui se dissiperait dès l’arrivée du médecin. Pourtant, au plus profond de moi, je savais que ces espoirs étaient vains.
Je tentai de me remémorer les jours précédant ce réveil, mais me heurtai à un mur de brume épaisse. Aucun souvenir ne venait, aucun visage, aucun lieu, aucune conversation. C’était comme si ma vie s’était arrêtée, suspendue dans le vide, avant de reprendre brusquement dans cette chambre inconnue.
Des bruits étouffés me parvenaient de temps à autre, des échos de pas dans le couloir, des voix lointaines, rappelant l’activité incessante qui devait régner au-delà de ces murs. Le monde extérieur me semblait à la fois proche et infiniment éloigné, une réalité à laquelle je ne pouvais pas encore participer.
L’attente devint presque insupportable, chaque minute s’étirant indéfiniment. Mon esprit, dans sa quête de réponses, s’égara dans des réflexions plus philosophiques. Qu’est-ce qui définissait notre identité, notre conscience, si ce n’est la somme de nos souvenirs, de nos expériences ? Privé de ces repères, qui étais-je vraiment ?
Alors que je me perdais dans le tourbillon de mes réflexions, la porte s’ouvrit brusquement, laissant entrer une bouffée d’air frais qui rompit l’atmosphère confinée de la chambre. Un homme se précipita à l’intérieur, son visage éclairé par un sourire si large et lumineux qu’il semblait illuminer la pièce entière. C’était Hugo, mon frère, bien que je mis un instant à le reconnaître tant l’émotion qui déformait ses traits lui donnait un air nouveau, presque étranger.
– Jules ! s’exclama-t-il, sa voix vibrante de joie.
Il s’approcha rapidement de mon lit, les yeux brillants d’une émotion palpable. Sans hésitation, il me prit dans ses bras avec une affection débordante, comme s’il craignait que je ne disparaisse à nouveau si jamais il me lâchait.
Je fus saisi par l’intensité de son étreinte, par la chaleur qui émanait de lui. Une vague de sensations m’envahit, mélange complexe de bonheur, de confusion, et d’une pointe de crainte face à l’ampleur de sa réaction. Son bonheur était contagieux, pourtant, sous-jacent à cette joie, je percevais une profonde émotion qui me rappelait que mon réveil était un événement extraordinaire, pas seulement pour moi, mais aussi pour ceux qui m’entouraient.
– Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureux de te voir, dit-il enfin.
Puis, reculant légèrement pour me regarder mieux, comme s’il cherchait à graver ce moment dans sa mémoire.
– Nous t’avons attendu si longtemps, Jules. Si longtemps…
Sa voix se brisa un instant, trahissant la lutte intérieure entre le soulagement et les souvenirs douloureux des jours incertains passés à espérer mon réveil. Je le regardai, cherchant quoi dire, comment réagir à une situation qui me dépassait encore largement. Mon frère, mon grand frère, pilier, mon lien avec un passé que j’avais du mal à saisir pleinement.
– Hugo, qu’est-ce que… Que s’est-il passé ?
Ma voix, faible et hésitante, trahissait mon désarroi.
– Pourquoi suis-je ici ?
Il s’assit à côté de mon lit, prenant une de mes mains entre les siennes, un geste de soutien que je ne lui connaissais pas mais qui me rassura instantanément.
– C’est une longue histoire, Jules. Tu as été… absent. Pendant un bon moment. Mais ne t’en fais pas, nous avons tout le temps pour en parler, pour te remettre à jour. L’important, c’est que tu sois de retour. Tu es un battant, tu as traversé beaucoup, mais regarde-toi maintenant. Tu es là, et c’est tout ce qui compte.
Les mots d’Hugo, bien qu’apaisants, soulevèrent un voile sur l’ampleur de ce que je devais affronter. Il y avait tant à comprendre, tant à découvrir sur ce qui m’était arrivé de l’ombre d’un sommeil que je ne calculais pas. Mais voir la joie pure dans les yeux de mon frère me donna un élan d’espoir, un désir ardent de reconquérir ma vie, peu importe les obstacles qui se dresseraient sur mon chemin. Son sourire, cette étincelle de bonheur à mon égard, était un phare dans la tempête de mon esprit. Avec Hugo à mes côtés, je me sentais prêt à affronter le monde, à reconstruire pièce par pièce l’existence qui avait été mise en pause, a priori. La route serait longue, semée d’incertitudes et de découvertes, mais ce premier pas, ce réveil entouré de l’amour inconditionnel de mon frère, était de toute évidence le début d’une nouvelle aventure que je comptais bien saisir à pleines mains.
Peu après cet échange émouvant avec Hugo, la porte s’ouvrit de nouveau, laissant entrer l’infirmière qui avait annoncé mon éveil plus tôt, suivie d’une femme d’une cinquantaine d’années, vêtue d’une blouse blanche qui ne laissait aucun doute sur sa profession. La médecin, portant un badge où je parvins à lire le nom « Dr. Julie Mornet », affichait un air grave mais bienveillant. « Avec un nom comme le sien, me dis-je, rien étonnant à ce qu’elle porte la gravité sur son visage.
Elle s’approcha de mon lit tandis que l’infirmière se dirigeait vers le moniteur de surveillance à côté, prête à suivre les instructions.
– Voyons voir comment vous vous portez, dit la Dr. Mornet en observant attentivement l’écran où l’infirmière commençait à prendre mes constantes. Ses gestes étaient précis, routiniers, et elle jetait de temps à autre des regards encourageants dans ma direction. Une fois satisfait des premiers chiffres affichés sur le moniteur, la médecin se tourna vers moi, son regard scrutateur mais empreint d’une gentillesse rassurante.
– Monsieur, pouvez-vous me dire comment vous vous appelez ? demanda-t-elle d’une voix calme.
– Jules… Jules Blanchard, répondis-je, un peu surpris par la simplicité de la question.
Je me trouvai toutefois reconnaissant pour la facilité avec laquelle la réponse me vint. La familiarité de mon propre nom dans ma bouche me rassura légèrement, un petit îlot de certitude au milieu d’un océan d’inconnu.
La Dr. Mornet hocha la tête avec un sourire encourageant avant de poursuivre.
– Très bien, Jules. Et pouvez-vous me dire quelle date nous sommes aujourd’hui ?
Je marquai une pause, sentant la pression de cette question. La réponse semblait flotter juste au bord de ma conscience, comme si je pouvais presque la saisir.
– Nous sommes… le 17 février, dis-je enfin, la certitude dans ma voix me surprenant moi-même.
La médecin échangea un regard rapide et lourd de sens avec l’infirmière, un frisson d’appréhension me parcourant l’échine.
– 2024, ajoutai-je, une affirmation plus qu’une question, comme si cette date était la dernière ancre me rattachant à une réalité que je commençais à peine à comprendre.
La Dr. Mornet se tourna alors vers l’infirmière, une ombre de préoccupation traversant son visage.
– Ca correspond un peu avec nos craintes…, murmura-t-elle, assez bas pour que je puisse entendre sans que cela ne semble intentionnel.
– Son cerveau s’est arrêté en février 2024. Nous devons approfondir nos examens et envisager un plan de rééducation adapté, poursuit-elle en direction de l’infirmière.
Ces mots tombèrent sur moi comme une sentence, faisant écho dans le silence qui suivit leur prononciation. Février 2024. Cette date était donc le dernier fil ténu me reliant à mon existence. La révélation du Dr. Mornet soulevait des questions auxquelles je n’étais pas sûr de vouloir connaître les réponses. Qu’était-il arrivé pour que mon esprit se fige à ce moment précis ? Et combien de temps avait réellement passé depuis ?
L’infirmière, suivant les instructions du médecin, nota quelque chose sur son bloc-notes avant de me jeter un regard empli d’empathie. Elle semblait vouloir me rassurer, mais ses yeux trahissaient une inquiétude qui ne fit qu’alimenter la mienne.
– Monsieur, nous allons faire de notre mieux pour vous aider à traverser cette épreuve, dit la Dr. Mornet, revenant à mes côtés. Votre cas est unique, mais vous n’êtes pas seul. Nous avons une équipe de spécialistes prête à vous accompagner dans votre rééducation. Votre famille est là pour vous aussi. La route sera peut-être longue, mais nous serons avec vous à chaque étape.
Ses paroles, bien que rassurantes, résonnèrent en moi avec une certaine distance. La réalité de ma situation, la gravité implicite de ce que la médecin venait de révéler, pesait lourdement sur mon cœur. Mon esprit s’était arrêté en 2024, mais le monde autour de moi aurait-il continué d’avancer ? Combien de temps s’était écoulé depuis ? Quels changements m’attendaient à mon réveil ? Et surtout, étais-je prêt à affronter cette nouvelle réalité, si éloignée de celle que j’avais connue ?
Alors que la médecin et l’infirmière préparaient leur départ, promettant de revenir bientôt avec plus d’informations et un plan d’action, je me retrouvai une fois de plus seul avec Hugo. Son soutien était ma seule constante dans ce monde inconnu. Une chose était sûre : quel que soit le chemin à parcourir, je ne l’affronterais pas seul.
Après le départ de la docteure et de l’infirmière, un silence lourd s’installa dans la chambre. Je restai immobile, les yeux fixés sur un point indéfini de la pièce, tandis que les mots de la Dr. Mornet résonnaient encore dans mon esprit. Février 2024. L’ampleur de ce qui m’arrivait commençait seulement à s’insinuer dans ma conscience, une réalité trop vaste et complexe pour être immédiatement comprise. Mon cœur battait à un rythme irrégulier, témoignant de l’angoisse sourde qui montait en moi.
Hugo, assis silencieusement à mes côtés, semblait respecter mon besoin de réflexion, offrant simplement sa présence comme un phare dans la tempête de mes pensées. La gravité de la situation avait temporairement éclipsé notre retrouvaille, laissant place à une introspection forcée sur ce que signifiait réellement « se réveiller » après un temps que je ne pouvais quantifier.
Après de longues minutes, un souffle profond fut le seul signe avant-coureur de ma tentative de verbaliser l’ouragan émotionnel intérieur.
– Hugo, commençai-je, ma voix brisée par l’incertitude, tu… tu as changé.
C’était une constatation plus qu’une question, une tentative de rattacher les fils dispersés de ma mémoire à la réalité tangible devant moi.
Mon frère me regarda, un sourire triste et compréhensif aux lèvres.
– Oui, Jules, je suppose que j’ai changé, dit-il doucement.
Sa main trouva la mienne, une connexion physique qui semblait ancrer nos âmes l’une à l’autre dans ce moment de vérité suspendu.
Il prit une profonde inspiration avant de continuer, choisissant ses mots avec une délicatesse qui me fit redouter et désirer en même temps ce qu’il s’apprêtait à révéler.
– Il ne s’agit pas seulement de moi, tu sais. Le monde a changé, notre famille a changé… Tout a changé. Jules, cela fait maintenant dix ans. Dix ans que tu étais… absent.
Dix ans. Les mots tombèrent entre nous comme des pierres dans un étang tranquille, perturbant l’eau calme de ma compréhension. Dix ans de vie, de moments, d’événements mondiaux, de joies et de peines familiales dont j’avais été exclu, enfermé dans le silence de mon propre esprit.
La révélation me frappa de plein fouet, un coup porté à mon identité même. Les ramifications de ces dix années perdues étaient vertigineuses, presque impossibles à saisir dans leur intégralité.
– Dix ans… ? répétai-je, ma voix étranglée par l’émotion.
Hugo serra ma main plus fort, comme pour me transmettre sa force, son soutien inconditionnel face à l’inconnu.
– Je sais que c’est beaucoup à absorber, et je ne m’attends pas à ce que tu comprennes tout tout de suite. Mais je suis là, Jules. Nous sommes tous là pour toi. Peu importe le temps que ça prendra, nous t’aiderons à traverser ça, à rattraper le temps perdu.
Le poids de ses paroles, de son engagement, m’apporta un semblant de réconfort au milieu du chaos intérieur. Dix ans. Une décennie d’absence à laquelle je devais faire face, avec pour seuls guides l’amour de ma famille et la détermination de me réapproprier une vie qui m’avait échappé.
Dans le silence qui suivit, un mélange complexe de gratitude, de peur, d’espoir et de deuil m’envahit. La route à parcourir serait longue et parsemée d’obstacles, mais je n’étais plus seul. Avec Hugo à mes côtés, et le soutien indéfectible de ceux qui m’attendaient au-dehors, j’étais prêt à commencer le long processus de guérison, de découverte, et de réintégration dans un monde qui avait continué à tourner sans moi.
Hugo, percevant peut-être mon besoin de m’accrocher à quelque chose de concret dans ce tourbillon d’informations et d’émotions, prit une nouvelle inspiration avant de continuer :
– Il y a autre chose, Jules. L’infirmière a prévenu le reste de la famille de ton réveil. Tu vas avoir de la visite très bientôt.
Sa voix était douce, mais je pouvais y déceler une pointe d’appréhension, comme s’il craignait la manière dont j’allais accueillir cette nouvelle.
La perspective de voir ma famille, de me retrouver face à des visages que je n’avais pas vus depuis une décennie, était à la fois réconfortante et terrifiante. Comment allaient-ils réagir ? Que ressentaient-ils ? La culpabilité et l’excitation se mêlaient étrangement dans mon esprit à cette annonce.
Pourtant, une question plus pressante me brûlait les lèvres, une question dont la réponse, je le pressentais, allait changer ma vie à jamais.
– Mais pourquoi suis-je ici, Hugo ? Dans cette chambre d’hôpital ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
Ma voix tremblait, trahissant ma peur de la vérité que je m’apprêtais à entendre.
Hugo me regarda, ses yeux emplis d’une tristesse infinie.
– En février 2024, tu… tu as eu un grave accident de voiture en rentrant de chez tes amis. Tu avais bu. Beaucoup. Et consommé du cannabis. C’était tard, et…
Sa voix se brisa, comme s’il lui était douloureux de revivre ce moment.
Je sentais mon cœur battre à tout rompre, chaque mot d’Hugo me frappant de plein fouet.
– Tu n’es pas la seule victime, Jules, continua-t-il après une pause lourde. Il y avait deux jeunes sur un scooter. Ils… ils ont croisé ta route au mauvais moment.
Le monde sembla s’arrêter de tourner à ces mots. Un accident. L’alcool, le cannabis. Deux jeunes à scooter fauchés à cause de mes actes. La culpabilité, déjà lourde à la simple idée de mon long sommeil, se transforma en un poids insoutenable. J’avais causé du tort, irréparable. Des vies avaient été détruites par ma faute.
– Jules, je… Je suis tellement désolé de devoir te dire ça maintenant, mais tu devais savoir. Tu as été jugé, condamné même en ton absence. Mais tout cela semble si dérisoire comparé à la perte de ces jeunes vies.
Hugo termina, la douleur palpable dans sa voix. Je compris soudainement que ces deux jeunes y avaient perdu la vie.
Je restai sans voix, le regard fixe, tentant de digérer l’énormité de mes actions, l’impact dévastateur de cet accident sur tant de vies, y compris la mienne. Comment pouvais-je même commencer à faire face à cette réalité, à vivre avec le poids de cette culpabilité ?
La chambre d’hôpital, qui avait d’abord représenté un lieu de réveil et de potentiel renouveau, se transforma soudain en prison, chaque mur me rappelant la gravité de mes erreurs. La visite annoncée de ma famille, auparavant source d’une certaine anticipation positive, se teinta d’appréhension et de honte. Comment pourrais-je affronter leur regard, leur douleur, leur déception ?
Dans ce moment de détresse profonde, Hugo resta à mes côtés, un pilier de soutien inébranlable malgré le chagrin partagé. Sa présence me rappelait que malgré l’obscurité de cette révélation, je n’étais pas seul. Un long chemin de rédemption m’attendait, semé d’embûches et de défis, mais également, je l’espérais, de compréhension et de pardon. Le processus de guérison, tant physique que moral, ne faisait que commencer.
Alors que je tentais encore de rassembler les morceaux brisés de ma réalité, la porte s’ouvrit à nouveau. Cette fois, ce fut un jeune garçon qui entra timidement dans la chambre. Il devait avoir environ neuf ou dix ans, les yeux grands ouverts, scrutant la pièce avec une curiosité mêlée d’une certaine réserve. Ses cheveux bruns étaient ébouriffés, comme s’il avait couru ou joué juste avant. Son regard se posa sur moi, et il avança lentement, comme s’il hésitait sur la manière de s’approcher d’un étranger allongé dans un lit d’hôpital.
Arrivé à mon chevet, il leva les yeux vers moi, puis, sur un élan de courage, se pencha et déposa un petit bisou sur ma joue. Le geste était si tendre, si innocent, qu’il transperça instantanément le voile de culpabilité et de douleur qui m’enveloppait. Je le regardai, complètement déconcerté, me demandant comment un enfant que je n’avais jamais vu pouvait me montrer tant d’affection.
Hugo, observant la scène, un sourire empreint d’une douce mélancolie sur les lèvres, décida qu’il était temps de m’expliquer.
– Jules, je te présente Tom. Ton fils.
Mon cœur s’arrêta un instant.
– Mon… mon fils ? balbutiai-je, incapable de détacher mon regard de l’enfant qui me souriait maintenant timidement.
– Oui, répondit Hugo, sa voix chargée d’émotion. Le lendemain de ton accident, celui où tu devais partir en week-end avec Camille, ta petite amie de l’époque… elle devait t’apprendre qu’elle était enceinte. C’était une surprise, quelque chose que vous n’aviez pas prévu, mais… mais Tom est là. C’est un garçon formidable, Jules. Brillant, gentil. Il a tant voulu te rencontrer, savoir qui était son père.
L’information me frappa de plein fouet, ajoutant une couche supplémentaire de complexité à la situation déjà bouleversante dans laquelle je me trouvais. Non seulement je devais me réconcilier avec le passé, avec les erreurs que j’avais commises, mais voilà que l’avenir s’invitait sous les traits d’un jeune garçon qui représentait une part de moi-même que je ne connaissais pas.
Tom, toujours à mes côtés, me regardait avec une curiosité non dissimulée, comme s’il essayait de retrouver dans mes traits ceux qu’il avait peut-être imaginés ou qu’on lui avait décrits.
– Salut, papa, dit-il d’une petite voix, brisant le silence qui s’était installé.
Papa. Il m’avait appelé « papa ». Ces mots, simples et pourtant si lourds de signification, me remplirent d’une émotion indescriptible. La culpabilité et le regret qui m’avaient accablé jusqu’alors laissèrent place à un sentiment nouveau, un mélange de responsabilité, d’émerveillement et d’une immense tendresse pour ce petit être qui représentait un lien vivant avec un monde que j’avais quitté depuis trop longtemps.
– Salut, Tom, répondis-je, ma voix étranglée par l’émotion. C’est… c’est un plaisir de te rencontrer.
Dans cet instant, malgré la complexité de ma situation, un sentiment de gratitude profonde m’envahit. Grâce à Tom, à Hugo, à ma famille qui, je l’espérais, allait bientôt franchir cette porte, je commençais à entrevoir la possibilité d’une reconstruction, d’une vie réinventée sur les fondations de l’amour, du pardon et de la seconde chance.
La présence de Tom à mes côtés, son innocence et sa tendresse, contrastait cruellement avec le poids écrasant de la culpabilité qui m’habitait. Alors que je contemplais ce jeune garçon, symbole d’une vie nouvelle que j’avais contribué à créer, la réalité de mes actes passés revenait me hanter avec une acuité renouvelée. J’avais donné la vie, certes, mais dans le même souffle, j’en avais arraché deux autres à ce monde. Deux jeunes vies, pleines de promesses et d’avenir, fauchées par mes choix d’irresponsables. La douleur de cette prise de conscience était presque insoutenable. La joie de rencontrer mon fils était teintée d’une amertume profonde, une tristesse pour ce que je ne pourrais jamais réparer. L’alcool, le cannabis, des choix de l’instant qui avaient des conséquences dévastatrices, irréversibles. Je regardais Tom, et derrière son sourire, je voyais le spectre de ces deux jeunes qui n’auraient jamais l’opportunité de grandir, d’aimer, de découvrir le monde… et de connaître le bonheur de la parentalité.
– Tom, mon garçon, commençai-je, la voix tremblante, cherchant les mots pour exprimer un tourbillon d’émotions contradictoires. Je suis tellement heureux de te rencontrer, de savoir qu’une part de moi continue de vivre à travers toi. Mais je porte en moi une grande tristesse, un regret profond pour des erreurs passées.
Tom me regardait, ses yeux d’enfant tentant de comprendre la complexité des sentiments adultes. Hugo posa sa main sur mon épaule, un geste de soutien face à la révélation difficile que je m’efforçais de partager.
– À cause de décisions que j’ai prises, des vies ont été perdues. Je… J’ai causé beaucoup de douleur, et avec ça, je devrai vivre pour le reste de mes jours.
La confession était comme un fardeau qui s’alourdissait à chaque mot, mais c’était une vérité que je ne pouvais fuir, devant mon fils ou devant moi-même.
La complexité de mes émotions était à son comble. La gratitude pour la vie de Tom, pour cette seconde chance inexplicablement offerte, luttait contre le désespoir et la culpabilité pour les vies que j’avais ôtées. C’était un paradoxe vivant, une lutte intérieure entre la lumière et l’ombre, le don et la perte.
– Je sais que rien de ce que je pourrai faire ou dire ne ramènera ces jeunes, ni ne pourra effacer la douleur de leurs familles, continuai-je, les larmes menaçant de submerger ma voix. Mais je promets, devant toi, Tom, et devant tous ceux que mes actes ont touchés, de faire de ma vie quelque chose de positif, de significatif. De transformer cette culpabilité en une force pour le bien.
Hugo acquiesça silencieusement, son regard empli d’une compassion et d’une compréhension qui transcendaient les mots. Dans cet instant de vulnérabilité partagée, je compris que le chemin de la rédemption serait long et semé d’embûches. Mais avec Tom, avec ma famille, j’avais un point de départ, une raison de lutter, de me pardonner et peut-être, un jour, d’être pardonné.
Après avoir exprimé mon tourment intérieur et le désir de réparation, je me tournai vers Hugo, cherchant dans ses yeux une réponse à la question qui me brûlait l’esprit.
– Hugo, crois-tu qu’il serait possible… de rencontrer les familles de ces deux jeunes ? Pour leur exprimer mes regrets, ma culpabilité… pour leur dire combien je suis désolé ?
Hugo me fixa un moment, son visage reflétant une multitude d’émotions. Puis, avec un soupir, il prit le temps de choisir ses mots avec soin, conscient de la gravité de ma demande et de l’impact que celle-ci pourrait avoir.
– Jules, commença-t-il d’une voix ferme, mais empreinte d’une douceur fraternelle, je comprends ton besoin de faire face à cette culpabilité, de chercher une forme de rédemption. Mais tu dois comprendre que les blessures que tu as infligées sont profondes, peut-être même irréparables. Les familles de ces jeunes vivent un deuil perpétuel, une souffrance que rien ne peut atténuer.
Il marqua une pause, me permettant d’absorber la portée de ses mots.
– Approcher ces familles, c’est rouvrir des plaies qui commencent tout juste à cicatriser. Ta présence, tes excuses, aussi sincères soient-elles, pourraient leur causer encore plus de douleur. Ce n’est pas de ta faute, Jules, mais c’est la réalité des conséquences de tes actes.
Son discours, bien que difficile à entendre, était empreint d’une vérité que je ne pouvais ignorer. La culpabilité que je ressentais ne pouvait être apaisée au détriment du bien-être de ceux que j’avais déjà tant blessés.
– Tu dois aussi penser à Tom, à l’impact que tes actions auront sur son avenir. Ton geste de contrition, s’il est mal interprété, pourrait retomber sur lui. Ta responsabilité maintenant, c’est de construire un avenir pour lui, pour toi, qui soit empreint de sens, de compassion et de changement positif.
Hugo posa sa main sur mon épaule, son regard plein d’une sollicitude fraternelle.
– La meilleure manière de te racheter, d’honorer la mémoire de ces jeunes, n’est pas de chercher le pardon auprès de leurs familles, mais de vivre ta vie d’une manière qui reflète ta prise de conscience, ta transformation. Engage-toi dans des actions qui préviennent ce genre de tragédie, qui éduquent, qui aident. C’est ainsi que tu pourras vraiment faire la différence.
Le poids de ses paroles s’ancra profondément en moi. La route vers la rédemption ne passerait pas par des gestes spectaculaires, mais par un engagement quotidien à être meilleur, à faire de ma seconde chance une force motrice pour le bien. Les leçons apprises dans cette chambre d’hôpital, auprès de mon fils, sous le regard bienveillant de mon frère, deviendraient les fondements sur lesquels je bâtirais ma nouvelle vie.
La culpabilité, bien qu’elle ne s’évanouirait jamais complètement, se transformerait avec le temps en une détermination à honorer ceux que j’avais perdus, non par mes paroles, mais par mes actions. Et peut-être, dans ce long voyage de guérison et de réparation, trouverais-je un sens à cette existence marquée par l’erreur, mais illuminée par l’espoir d’un avenir meilleur.
Encouragé par les paroles d’Hugo et la présence de Tom, un autre sujet me préoccupait profondément, une question dont la réponse m’était aussi cruciale que douloureuse :
– Et Camille ?
Ma voix était presque un murmure, teintée de crainte et d’espoir.
– Comment va-t-elle ta maman, demandai-je en regardant Tom? A-t-elle refait sa vie ?
Hugo prit un moment avant de répondre, son expression se teintant d’une nuance de tristesse mêlée de respect.
– Camille a été incroyablement forte à travers tout ça, Jules. Élever Tom, gérer sa propre douleur tout en faisant face à la tienne… Elle a dû devenir une guerrière.
Tom demeurait souriant, presque amusé…
Hugo marqua une pause, comme pour laisser ses mots s’inscrire dans l’air entre nous.
– Elle a continué à vivre, oui. Elle a dû. Pour Tom, pour elle-même. Mais ça n’a pas été facile. Tu sais, elle t’a gardé dans son cœur, même dans les moments les plus sombres. Tom connaît son père à travers les histoires qu’elle lui a racontées, à travers les photos, les souvenirs partagés.
La complexité des émotions que ces mots éveillèrent en moi était indescriptible. Soulagement, gratitude, douleur – un mélange poignant de sentiments qui se bousculaient, cherchant leur place dans le récit fragmenté de ma vie.
– Elle… elle sait que je suis réveillé ? demandai-je, l’angoisse teintant ma question.
L’idée de la revoir, après tout ce temps, après tout ce qui s’était passé, était à la fois terrifiante et profondément désirée.
– Oui, elle sait, répondit doucement Tom. C’est elle qui m’envoie.
– Elle a été l’une des premières personnes informées, poursuit Hugo. Pour l’instant, elle a choisi de prendre son temps, de te laisser te réadapter, te réveiller à ce nouveau monde. Mais elle viendra, Jules. Quand elle se sentira prête. Et quand cet instant viendra, il faudra que tu sois prêt toi aussi, à affronter non seulement les conséquences de tes actes passés mais aussi les possibilités de votre avenir commun.
Le poids de cette future rencontre avec Camille, la mère de mon fils, pesait lourd sur mon cœur. La perspective de la voir après une décennie d’absence, d’explorer ce que nous étions l’un pour l’autre maintenant, était aussi intimidante qu’elle était essentielle à ma quête de rédemption et de sens.
– Je veux être prêt, dis-je finalement, une détermination nouvelle forgeant ma voix. Pour elle, pour Tom… pour moi. Je veux faire face à notre histoire, à tout ce qui nous a brisés et tout ce qui peut encore nous unir.
Tom, toujours à mes côtés, semblait absorber notre conversation avec une curiosité silencieuse, ses jeunes yeux observant le lien invisible qui se tissait et se retissait entre les membres de sa famille élargie.
Dans cet instant, malgré la douleur et les incertitudes, une lueur d’espoir brillait faiblement à l’horizon. La route vers la guérison, vers la réconciliation avec mon passé et la construction d’un avenir, était pavée de difficultés, mais aussi de promesses de renouveau. La possibilité d’un jour réunir les fragments de notre famille, de tisser de nouvelles histoires ensemble, était un phare guidant mes pas vers l’avant, vers la lumière.
Encouragé par la perspective de renouer avec Camille et de bâtir un lien avec Tom, une autre préoccupation surgit dans mon esprit, un autre lien familial dont la pensée m’avait accompagné dans les limbes de mon coma.
– Et nos parents ? demandai-je à Hugo, la voix chargée d’une appréhension nouvelle. Comment vont-ils ?
Hugo prit une profonde inspiration, son regard se voilant d’une ombre de tristesse.
– Papa va… relativement bien, étant donné les circonstances. Il a été notre roc, essayant de garder la famille unie face à l’adversité. Mais maman…
Sa voix faiblit, comme si les mots suivants lui coûtaient.
– Elle ne s’est pas vraiment remise, Jules. L’état dans lequel tu étais, ces longues années d’attente, d’espoir et de désespoir… ça l’a profondément affectée. Elle a sombré dans une grosse dépression nerveuse peu après ton accident. C’était difficile, de la voir s’éloigner de nous, emportée par sa propre douleur. Elle a dû être placée en institution spécialisée et ce, depuis plusieurs années. Est-ce à cause de sa maladie, des traitements ? En tous cas, elle ne reconnaît plus personne, ne parle plus, ne mange plus seule…
Mon cœur se serra à cette révélation, une douleur aiguë me traversant à l’idée de ma mère, emportée par la tristesse, incapable de surmonter la vue de son fils prisonnier de son propre corps.
– Et… et comment avez-vous, tous, fait face ? murmurais-je, craignant presque la réponse.
– C’est là que les choses se compliquent encore, continua Hugo, sa voix empreinte d’une lourdeur résignée. Après l’accident, les familles des deux jeunes que tu as fauchés ont demandé des dommages et intérêts. Cela a mis nos parents dans une situation financière très difficile. Ils sont endettés, Jules. Profondément endettés. On ne sait pas si maman, de sa clinique, elle en est consciente. Mais par ailleurs, papa a dû prendre plusieurs emplois, tout comme moi, pour subvenir à ses besoins. Et même avec cela, c’est à peine s’il arrive à joindre les deux bouts…
L’impact de mes actions passées semblait se déployer dans des cercles concentriques, touchant non seulement les vies que j’avais directement affectées, mais aussi celles de ma propre famille. La culpabilité, déjà immense, s’intensifia, mêlée à une impuissance face à la détresse de ceux que j’aimais.
– Je suis tellement désolé, Hugo, soufflai-je, les mots me semblant dérisoires face à l’ampleur de la douleur que j’avais causée. Je donnerais tellement pour pouvoir remonter le temps, pour empêcher tout cela…
– Je sais, Jules. Mais c’est avant qu’il aurait fallu y pensé. Ce n’est pas faute de t’avoir prévenu… Combien de fois on t’a demandé de te faire soigner ? Mais tu n’entendais rien, tu disais simplement « je suis jeune, laissez-moi profiter de ma jeunesse ». Mais tu ne voyais pas que le fêtard que tu étais devenait peu à peu un malade avec ses addictions.
Hugo posa sa main sur la mienne, un geste de soutien fraternel qui, dans ce moment de désolation, m’offrait un maigre réconfort.
– Je sais, Jules. Je sais que tu voudrais remonter le temps, répéta t-il. Mais le temps ne recule pas. Tout ce que nous pouvons faire maintenant, c’est aller de l’avant, trouver des moyens de soutenir nos parents, de les aider à surmonter cette épreuve.
La réalité de ma situation, des conséquences de mes choix passés, pesait sur moi avec une force écrasante. Pourtant, dans cette douleur, un désir ardent de réparation, de contribution à un avenir meilleur pour ma famille, s’insinuait. Peu importe le temps qu’il faudrait, peu importe les efforts nécessaires, je m’étais promis de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour alléger le fardeau de ceux que j’avais tant blessés. Le chemin de la rédemption semblait plus long et sinueux que jamais, mais c’était un chemin que je devais emprunter, pour moi, pour ma famille, pour les vies que j’avais touchées. Y comprit celle de ma mère. Reviendrait-elle à celle que l’on a connue, si elle me voyait sortie du coma ?
Alors que je digérais les révélations d’Hugo, perdu dans mes pensées et mes remords, la porte s’ouvrit doucement et l’infirmière réapparut. Elle se dirigea discrètement vers Hugo et lui glissa un mot à l’oreille. Après un bref échange de regards entre eux, Hugo se leva, attrapant la main de Tom qui avait jusque-là écouté notre conversation avec une attention silencieuse.
– Nous allons te laisser un moment, Jules, annonça Hugo avec un sourire qui se voulait rassurant. Il semble que tu aies de la visite.
Alors que la porte se fermait derrière Hugo et Tom, me laissant seul dans la chambre d’hôpital, le poids de mes pensées et de mes émotions me submergea. La solitude, après le départ de mon frère et de mon fils, se fit plus oppressante, plus tangible. Les mots d’Hugo, les révélations sur ma mère, sur les conséquences de mon accident, tournaient dans mon esprit, un carrousel incessant de douleur et de regret.
Les larmes, d’abord contenues, commencèrent à couler librement, abondamment, témoignage silencieux de la bataille intérieure que je menais et tout ce qui m’attendait. Comment allais-je réussir à surmonter tout cela ? Aurais-je la force nécessaire pour faire face aux dégâts que j’avais causés, pour reconstruire ce qui avait été brisé, pour offrir à Tom, à ma famille, quelque chose de meilleur que les ruines de mon passé ?
Les questions se bousculaient, chacune apportant son lot de doutes et de peurs. L’idée même de la fuite me traversa l’esprit, une solution finale comme le suicide pour échapper à la réalité insurmontable de ma situation. Ce n’était pas tant l’envie de mourir qui m’habitait, mais plutôt le désespoir de ne pas savoir comment vivre avec le fardeau de mes actions, de mes choix.
En quelques minutes, je traversai toutes les épreuves imaginables, confronté à la dure réalité de mon comportement passé, de mes addictions, de l’impact dévastateur qu’ils avaient eu sur la vie de plusieurs personnes. La culpabilité était un feu qui me consumait de l’intérieur, me rappelant que, quoi que je fasse, je ne pourrais jamais revenir en arrière, jamais effacer la douleur causée, jamais revivre comme avant.
La prise de conscience fut brutale, presque suffocante. Mon existence, telle que je l’avais connue, avait volé en éclats le jour de l’accident. Les fragments de cette vie passée, dispersés par mes propres mains, ne pourraient jamais être entièrement recollés. Et même si, par miracle, je parvenais un jour à surmonter les obstacles qui se dressaient sur mon chemin, je devrais vivre avec les cicatrices de mes erreurs, les porter comme un fardeau permanent, un rappel constant de ce que j’avais fait.
Pourtant, au milieu de cette tempête d’émotions, une lueur d’espoir persistait, faible et vacillante. Le visage de Tom, l’amour inconditionnel de ma famille, le soutien d’amis qui, malgré tout, avaient choisi de rester à mes côtés. Peut-être qu’une forme de rachat de mes actes était encore possible, non pas en effaçant le passé, mais en apprenant de lui, en choisissant de vivre différemment, mieux.
Avec cette pensée, les larmes commencèrent lentement à se tarir, laissant place à une détermination fragile. La route serait longue, semée d’embûches, mais le choix de la fuite, de l’abandon, n’était pas une option. Pour Tom, pour ma famille, pour moi-même, je devais trouver la force de continuer, de me battre pour chaque jour meilleur, pour chaque petit pas vers la guérison et la réconciliation.
Dans la solitude de ma chambre d’hôpital, je fis le serment silencieux de m’engager sur ce chemin difficile, acceptant les épreuves comme partie intégrante de ma quête de sens et de pardon. La voie vers l’avant n’était pas celle de la facilité, mais elle était la seule qui offrait une chance, si mince soit-elle, de paix et de rédemption.
Tom fut le premier à entrer dans la chambre, avec un très large sourire et une lueur d’excitation dans les yeux, suivi de près par l’infirmière.
– Je te présente ma maman, dit-il avec un sourire rayonnant.
Sur le moment, je fus submergé par la confusion. Je fixai l’enfant, puis l’infirmière, cherchant désespérément à comprendre. Avant qu’il ait pu formuler une question, la porte s’ouvrit à nouveau pour laisser entrer une marée de visages familiers : ma famille, mes amis, et au milieu d’eux, Camille. Et mes deux parents ; ma mère visiblement en excellente santé: tous affichaient de grands sourires, illuminant la chambre d’une joie éclatante. Ce qui me frappa, c’était leur apparence inchangée, en contraste frappant avec le récit d’Hugo.
Alors que Jules tentait encore de saisir la situation, Hugo prit la parole avec un sourire malicieux.
– C’était une blague, Jules ! Tu n’as jamais été dans le coma. C’était juste un coup monté par Camille et moi.
Il expliqua qu’ils m’avaient administré un puissant somnifère la veille au soir, profitant d’un moment où j’étais totalement ivre.
– Nous voulions te faire un électro-choc, te montrer de manière radicale où tes addictions pourraient te mener !
Le silence qui suivit fut lourd, alors que j’absorbai l’ampleur de cette révélation. L’étonnement initial laissa place à une profonde colère. Soudainement, j’eus envie de prendre mon frère par le col et lui administrer une droite dont il se souviendrait toute sa vie !
Toutefois, la mise en scène, bien que choquante, m’ouvrit les yeux sur un chemin sombre que j’aurais pu emprunter sans ce réveil brutal…
– On savait que cela serait difficile, Jules, mais on devait agir avant qu’il ne soit trop tard, continua Camille, s’approchant de moi. Nous voulions que tu comprennes, vraiment comprennes, les conséquences potentiellement dévastatrices de tes habitudes de fêtard addict.
Une bouffée de colère monta encore en moi, une tempête tumultueuse qui menaçait d’engloutir toute raison. La révélation de la supercherie, bien qu’expliquée comme un acte d’amour par mon frère Hugo et de Camille, me semblait une trahison profonde, une manipulation de mes émotions les plus intimes. Ma poitrine se serrait sous le poids de l’indignation, mon cœur battant à tout rompre contre les murs de ma cage thoracique, comme si je cherchais à échapper à la réalité de ce que je venais d’apprendre.
Les mots se bousculèrent au bord de mes lèvres, des insultes et des reproches destinés à mon frère, à Camille, à tous ceux qui avaient participé à cette mise en scène cruelle. Chaque sourire complice qui m’avait été offert quelques instants auparavant m’apparaissait maintenant comme une moquerie, une humiliation, un affront personnel à sa souffrance.
Mais au moment où les mots allaient jaillir, une autre voix, plus calme, celle de ma propre conscience, s’éleva au-dessus du tumulte. Je me débattais avec mes pensées, tiraillé entre le désir de hurler ma frustration et la compréhension douloureuse que, malgré les apparences, l’intention derrière cette farce était née d’une véritable préoccupation pour son bien-être. C’était cette dualité, cette bataille intérieure entre la colère et la reconnaissance de l’amour maladroit de ma famille, qui me tenaillait.
Dans l’énervement du moment, Hugo cria, cherchant à percer le voile de ma colère.
– C’était juste une preuve d’amour, Jules ! Une manière de te montrer ce que tu risques de perdre avec tes conneries !
Ces mots, prononcés avec une passion brute, m’atteignirent en pleine face, me faisant prendre conscience de l’ampleur de mes propres abîmes, de la fragilité de la vie que j’avais failli gâcher par mes addictions.
Au milieu de cette tempête d’émotions, une autre vague de déception me submergea, un sentiment amer et doux-amer à la fois. L’idée d’avoir un fils, un petit être qui représentait une part de moi-même et un lien tangible avec Camille, avait été une lueur d’espoir dans le chaos de mes pensées. Cette perspective, bien que brièvement envisagée, m’avait offert un aperçu d’un avenir différent, d’une possibilité de joie familiale.
La réalisation brutale que Tom n’était pas mon fils, que cette partie de la mise en scène n’était qu’une illusion, m’arracha un soupir de tristesse profonde. J’avais déjà commencé à imaginer les moments que j’aurais pu partager, les liens qui auraient pu se tisser. L’idée de perdre ce qui n’avait jamais été réellement à moi ajoutait une couche supplémentaire de douleur.
Dans cet état de vulnérabilité, Camille s’approcha de moi, un silence attentif entre nous deux. Elle tenait quelque chose dans sa main, un objet petit mais lourd de signification. Avec une hésitation perceptible, elle me tendit un test de grossesse positif.
– C’est vrai, Jules, dit Camille doucement, ses yeux cherchant les miens. C’était peut-être une mise en scène, mais ça, (elle secoua légèrement le test entre ses doigts) c’est réel. Nous allons avoir un bébé !
Dans ce moment, tous les doutes, toutes les peurs semblaient s’éclipser devant l’immensité de l’amour que je ressentais déjà pour cet enfant à naître. Je pris la main de Camille dans la mienne, un geste de connexion et de promesse pour l’avenir.
– On va y arriver, ensemble, murmurai-je, une détermination nouvelle teintant ma voix. Nous allons y arriver.
Un peu plus tard…
Six mois s’étaient écoulés depuis « la blague » de mes proches.
Pourtant, malgré cette lueur d’espoir, mes vieilles habitudes, les sombres compagnons de route que sont les addictions, avaient peu à peu repris leur emprise sur tout mon être. La lutte intérieure que je menais semblait perdue, me tirant à nouveau vers le gouffre que j’avais pourtant juré de fuir.
Camille, témoin impuissant de ma rechute, oscillait entre soutien et désespoir. L’amour qu’elle portait à mon égard se heurtait à la dure réalité de mes choix, l’amenant à envisager la possibilité d’une séparation. Pour elle, pour notre enfant à naître, elle se devait de penser à un avenir peut-être sans moi. C’était une décision qu’elle n’avait jamais imaginé devoir prendre, un chemin qu’elle redoutait d’emprunter. Mais elle voulait d’abord se protéger et protéger ce petit bout de vie qui avait sérieusement arrondi son ventre.
Encouragé par Camille et toute ma famille, j’avais finalement accepté de participer à un groupe de parole, un dernier effort pour me libérer des chaînes de mes dépendances. Le cœur lourd, mais avec un infime espoir, j’avais assisté à ma seizième séance, écoutant les histoires d’autres âmes égarées, cherchant à y trouver la force de se reconstruire.
C’est au retour de cette séance, l’esprit encore embrumé par les émotions partagées et les réflexions personnelles, que le destin frappa de manière aussi ironique qu’implacable. Un camion citerne, chargé de vin rouge, perdit le contrôle et entra en collision avec ma voiture. Pas suffisamment de réflexes pour l’éviter…
Dans cette chambre d’hôpital, entouré de machines et plongé dans un silence artificiel, je me trouvais une fois de plus à la frontière de la vie et de la mort. Cette fois, cependant, le combat que je menais était pour ma survie immédiate, chaque battement de mon cœur un rappel de la fragilité de l’existence.
Camille, assise à mon chevet, les mains serrées autour des miennes, priait pour un miracle. Les larmes coulaient sur ses joues et retombaient sur les miennes, chaque goutte une prière muette pour l’homme qu’elle aimait, pour le père de notre enfant à naître dans trois mois.
Puis, du plus profond de mon coma, je l’entendis me souffler quelques mots :
– Je suis en colère après ce camion, mais après toi surtout. Je ne sais pas si tu m’entends, mais je veux y croire. Je veux que tu saches que je suis convaincue que ce putain de camion n’était pas là par hasard : il était pour toi. Ce n’était pas un camion de lait ou de farine ! Un camion rempli de vin. Un camion de ton putain de pinard !!!
Puis Camille se leva, colla ses mains sur mes épaules endormies. Je sentis sa colère monter. Je ne la croyais pas capable de tant de cris, de colère, de tempête intérieure…
– Réveilles-toi, putain ! Et je ne parle même pas du coma dans lequel tu es plongé depuis hier. Je te demande de te réveiller de ta putain de vie ! Tu étais un fêtard, tu es devenu un alcoolique, un drogué! Tu vas être papa ! On a besoin de toi ! Réveilles-toi ! C’est un putain d’ordre !
Un baiser qu’elle écrasa presque sur ma bouche. Son parfum. Ses larmes sur mes joues. Puis le moniteur de surveillance à ma gauche qui changea sa tonalité.
Un bip.
Long.
La lumière.
Un souffle d’amour inconditionnel. Grandiose.
On m’appelle. Je suis attiré par mes proches décédés qui me tendent les bras. Je revois mon grand-père que j’ai très peu connu. Une grand-tante, un instituteur que j’ai beaucoup aimé. Deux de mes chats. Ils sont tous là. Merci pour l’accueil ! Je n’en demandais pas tant !
Je me sentis tellement bien. Si léger, attiré par un amour inimaginable.
Puis ces entités s’éloignèrent sans que j’en comprenne la raison. Je voulus les rejoindre mais la force me manqua cruellement. Trop tard.
Je réintégrai mon corps douloureux et embrassai langoureusement les lèvres de Camille…
FIN.
Je découvre pour la première fois une de tes nouvelles.
Mon ressenti : addictif, suspense, soulagement, pointe d’humour et la petite larme à la fin.
Beaucoup d’émotions.
Avec plaisir de lire tes autres nouvelles.
Bravo
Merci Alexandra pour ce petit commentaire encourageant.
Je travaille d’arrache-pieds (non: cheveu) pour faire de ces petites histoires quelque chose qui puisse toucher chacun d’entre nous. Et si j’ai suscité chez toi tout ce que tu indiques, j’ai donc réussi! Merci beaucoup !
Au plaisir de partager d’autres petits moments d’évasion…